Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661,
Salon Air, France
Dans
le numéro 397 du mois d'Avril 2015 de la revue Armées d'aujourd'hui, en page 42, on peuty lire un dossier ayant
pour titre : Balard vous ouvre ses portes.
Ce dossier, met en avant les avantages liés au regroupement des états-majors,
directions et services centraux à Balard, baptisé l'Hexagone. On y parle
notamment des répercussions positives sur les prises de décisions, sur la
conduite opérationnelle et sur les conditions de travail du personnel. On
souligne, en particulier, la création de crèches, du restaurant, d'une salle de
sport et d'une piscine.
81
ans auparavant, dans le n° 656 du 11 janvier 1934 de la revue Les Ailes, on pouvait lire un article
intitulé : La Cité de l'Air est édifiée. Cet article vantait également les
avantages du regroupement des différents Services de l'Aéronautique en mettant
en exergue les mêmes répercussions sur la rationalisation des opérations,
l'optimisation des démarches décisionnelles et sur l'amélioration des
conditions de vie du personnel (crèche, lieux de détente, restaurant, terrain
de sport).
Il
est donc intéressant de souligner la similitude de ces deux articles pourtant
si éloignés dans le temps. En revanche, si en 1934 le site va accueillir le
Ministère de l'Air, en 2015 il est prévu pour être le siège du Ministère de la
Défense.
Le Ministère de l'Air |
Elle aura, à sa porte, le terrain
d’Issy-Les-moulineaux qui va être rendu à l’Aviation
La concentration de tous les Services du ministère de
l’Air est en voie de réalisation. C’est une chose d’autant plus heureuse
qu’elle sera l’occasion, pour le grand organisme officiel de l’Aviation
française, de s’installer dans un cadre approprié au rôle considérable qui lui
est dévolu. La « Cité de l’Air », qui s’édifie en bordure du terrain
d’Issy-Les-Moulineaux, est une très belle œuvre pour laquelle, enfin on a su
voir grand et loin. Résultat appréciable : cette œuvre se traduit en
définitive, par des économies !
Le Ministère de l’Air a réalisé la
concentration de l’Aéronautique dont les divers Services étaient éparpillés,
avant sa constitution, entre divers Ministères. Il était logique qu’il cherchât
lui-même à réaliser, à l’intérieur de sa propre maison, une concentration
totale des multiples Directions, Inspections, Services et Bureaux qui le
constituent. C’est ce souci d’amalgamer l’Aéronautique officielle en un tout
cohérent, compact, lié qui est à l’origine de l’installation, boulevard Victor,
du Ministère, en une véritable Cité de l’Air qui dotera la France d’une organisation
unique.
Une
machine hétéroclite
On se doute de l’ampleur de cette machine
aux rouages innombrables qu’est le plus moderne de nos ministères. Cette machine
fut montée, assemblée, peu à peu, en quelques vingt ans. A mesure que
l’Aviation se développait, que de la modeste Direction de l’Aéronautique
militaire d’avant-guerre on passait par des phases successives, au Sous-secrétariat
d’Etat, puis au Ministère de l’Air, on ajoutait des rouages, des leviers, des
commandes … Si la machine était, jusqu’ici , hétéroclite, on le devait
davantage à la formation hâtive, saccadée, trop rapide de l’Aéronautique qu’à
la négligence ou à l’incapacité de ceux qui en dirigèrent le fonctionnement.
Personne n’est coupable. L’Aviation et les organismes officiels dont elle
entraîna la création ont poussé trop vite. La Marine est née avec Colbert ; l’Aviation
avec Laurent-Eynac. Ne récriminons donc pas à ce propos. Constatons plutôt
qu’on ne pouvait guère bâtir du définitif avec quelque chose qui changeait
constamment.
C’est ce qui explique que, jusqu’à ce jour,
les Services du Ministère de l’Air étaient dispersés dans tous les coins de la
capitale. On n’avait pas de place, rue Saint-Didier et quand le besoin imposait
un nouveau Service, il fallait, pour le faire fonctionner, l’installer
ailleurs. De la sorte, l’Air se trouvait non seulement, 35, rue Saint-Didier,
mais dans quatorze autres immeubles.
Le
Ministère de l’Air dans 14 immeubles
L’Administration Centrale, qui forme le
Ministère proprement dit, occupait, outre le 35 de la rue Saint-Didier,
l’immeuble situé au n° 20 de la même rue, le Bastion 68, boulevard Victor, le
Bastion 43, le 37 de l’avenue Rapp. Les Services Extérieurs étaient répartis
avenue Rapp également, 272, boulevard Saint-Germain (Centre d’Expériences
Tactiques et Inspection Générale des Ecoles), au Bastion 43, (Inspection
Technique), au Bastion 64 (1er G.O.A.), au Bastion 71 (Service
Général du Ravitaillement et Garage militaire), au Bastion 68 (Services des
Bases, Etablissement Régional de la Navigation aérienne, État-major du 1er
G.O.A.), aux Invalides (Inspection de l’Aéronautique de Renseignement), 4 rue
de la Porte
d’Issy (S.T.Aé., Service des recherches, S.F.A.), 32 boulevard Victor (Ecole
Nationale Supérieure d’Aéronautique), 176, rue de l’Université (O.N.M.). En
outre les Arrondissements de Contrôle des fabrications aéronautiques se
situaient dans quatre immeubles, correspondant aux régions Paris-Ville,
Paris-Ouest, Paris-Est et Paris-Nord-Ouest.
Les inconvénients d’une telle dispersion
apparaissent trop nettement pour qu’on y insiste : liaisons difficiles,
perte de temps et perte d’argent, situation défavorable à un bon rendement. Si
certains des locaux occupés étaient prêtés par la Guerre , sans frais pour
l’Air, ceux-là étaient généralement vétustes, sales, incommodes. Les autres
étaient loués par l’Air et représentaient des loyers importants.
Encore une fois, tout cela résultait de la
marche des évènements de l’extraordinaire croissance de l’Aviation.
De la
caserne modèle au Ministère modèle
Cependant, dès son arrivée au Ministère de
l’Air, M. Pierre Cot s’émut de la dispersion de ses Services. Il chercha, avec
le concours de son collaborateur le plus discret, M. René Corbin, à remédier à
la situation.
En fait, l’installation de l’Air rue
Saint-Didier avait déjà été un geste heureux en ce sens qu’il tendait à
matérialiser la conception du Ministère intégral. Mais avec le développement de
l’Air, cela ne suffisait plus. D’autre part, la Guerre , qui logeait
gracieusement une partie des Services de l’Air dans ses inconfortables
bastions, prétendait les récupérer, et l’Air allait être obligé de chercher
ailleurs la place dont il avait besoin. C’est pourquoi, les prédécesseurs de M.
Pierre Cot avaient entrepris , boulevard Victor, la construction d’un vaste
immeuble destiné à abriter les Services Extérieurs. A côté de cet immeuble s’amorçaient
les fondations d’une énorme caserne qui elle, devait recevoir les quelque 700
hommes et sous-officiers du 1er G.O.A. Ainsi l’Air pourrait
restituer ses locaux à la
Guerre …
M. Pierre Cot examina les possibilités
d’aménagement de l’immeuble – appelé l’immeuble T, en raison de sa forme – et
prit une première décision : celle d’y loger le Ministère de l’Air –
c’est-à-dire l’Administration centrale – et de concentrer tous les Services
Extérieurs 35, rue Saint-Didier où ils prendraient la place de l’Administration
Centrale. On était alors en avril.
Un peu plus tard, le Ministre fut amené à
étudier de plus près le projet de caserne-modèle que l’on édifiait pour le 1er
G.O.A. Le projet était admirablement conçu, à tel point qu’on y vit le moyen
d’aller beaucoup plus loin dans la voie de la concentration intérieure du
Ministère de l’Air. Soutenu par M. rené Corbin – qui est décidément, à l’Air,
un excellent organisateur – par la haute autorité du Général Denain, un nouveau
projet prit corps auquel le Ministre se rallia avec ardeur. Au lieu d’une
concentration partielle, on allait aboutir à une concentration totale. Le
Ministère tout entier s’installera dans le nouveau bâtiment - primitivement
prévu pour le 1er G.O.A. – et les Services Extérieurs dans
l’immeuble T. Il n’y aura plus rien rue Saint-Didier – dont le bâtiment sera
remis à la disposition des Domaines auxquels il appartient – ni ailleurs.
Deux
étapes
Le plan d’ensemble n’est que partiellement
réalisé. Si l’immeuble T est achevé, l’immeuble principal ne l’est pas . Il ne
le sera guère avant septembre ou octobre 1934. C’est pourquoi on a adopté, en
attendant une mesure transitoire. L’Administration Centrale est en train
d’emménager dans l’immeuble T qu’elle n’occupera que provisoirement. Les
Services Extérieurs resteront là où ils sont, sauf ceux qui occupaient des immeubles
loués (37, avenue Rapp et 20, rue Saint-Didier) et qui , eux rallieront, tout
de suite, le boulevard Victor ou le 35, rue Saint-Didier. Cela c’est la
première étape, l’étape actuelle.
La seconde étape comportera l’emménagement
définitif de l’Administration centrale dans l’immeuble principal et celui des
Services Extérieurs dans l’immeuble T. La concentration totale sera alors
réalisée.
La vue perspective que nous publions permet
de se rendre compte de ce que sera la
Cité de l’Air. Accolés aux installations existantes du
Service Technique, du Service des Recherches, du S.F.A., de l’Ecole Nationale
Supérieure d’Aéronautique, les immeubles du Ministère de l’Air formeront, avec
ces installations, un tout compact. Disposant de bureaux modernes, pratiques où
pénètrent l’air et la lumière, le Ministère constituera une organisation
modèle, harmonieusement conçue.
La caserne primitivement prévue sera
construite derrière l’immeuble principal. On l’a ramenée à des proportions plus
raisonnables en ne l’étudiant que pour les quelque 250 hommes et sous-officiers
du 1er G.O.A. qui serviront à la Cité de l’Air comme secrétaires, chauffeurs … Les
autres seront casernés en banlieue, près des Services qui les occupent. La
caserne de l’Air sera réalisée sous forme de petits bâtiments, sans étage, en
briques apparentes et qui cadreront avec l’ensemble de la
Cité. La caserne-modèle devait coûter 8
millions : les dépenses seront ainsi réduites à 2 millions.
D’autre part, on avait prévu un garage pour
les automobiles. Ce projet entraînait une dépense de 2 à 3 millions. Elle sera
évitée. L’Air possède des hangars métalliques Bessonneau qui seront aménagés en
garages et que l’on édifiera le long des bâtiments du Service Technique en
bordure du terrain d’Issy. On souhaite que ces hangars ne viennent pas
compromettre l’harmonie de l’ensemble.
Du
restaurant à la pouponnière
On a beaucoup vanté – avec raison d’ailleurs
– le Ministère de l’Aéronautique italien tel que l’a voulu le Maréchal Balbo.
Notre Ministère de l’Air procèdera, une fois terminé, des mêmes soucis et des
mêmes principes. On y aménagera une grande salle de culture physique pour le
personnel, un vaste restaurant où déjeunera ce personnel qu’il soit civil ou
militaire, officier ou sous-officier. Longeant cette salle de restaurant, un
balcon très large permettra de passer agréablement les moments de repos. On
prévoit également une coopérative d’achats en commun, le fonctionnement de
Services médicaux et, enfin, ce qui constituera une innovation dans l’Administration
française, une garderie d’enfants. Il y a beaucoup de ménages à l’Air : la
pouponnière sera une belle œuvre sociale. Ajoutons, enfin, qu’un terrain de
sport sera réalisé et que d’abondants parterres de plantes et de fleurs
sépareront les différents bâtiments.
13
millions d’économie
Ce plan est fort séduisant. Il a l’avantage
d’être déjà, en partie, réalisé. Mais une question se pose. Que coûtera-t-il, à
l’Etat ? La réponse est réjouissante. En capital, il se traduit par une
économie de 13 millions.
L’abandon de la caserne modèle, la
suppression du garage géant et – surtout – la libération des immeubles que
l’Etat louait, produisent, tout compte fait, cette somme. Le collège
Lacordaire, 35, rue Saint-Didier, avait été acheté 11 millions. Soit, que
l’Etat le revende, soit que le fait d’être disponible évite à l’Etat la
construction ou la location d’un immeuble dont il aurait besoin par ailleurs,
la récupération est indiscutable.
D’autre part, la concentration produira des
économies non moins indiscutables : économies de voitures – l’effectif
s’en trouvera réduit de moitié – économie de personnel, économie sur les frais
généraux : chauffage, téléphone, etc. … Le fait de concentrer tous les
Services permettra une surveillance plus effective, une connaissance plus
exacte des véritables besoins de chacun, une organisation méthodique de toute
la maison.
Le
terrain d’Issy
Enfin, pour terminer il est une question sur
laquelle nous sommes heureux d'insister car Les Ailes l'ont, à plusieurs
reprises, soulevée. Le Ministère de l'Air aura à sa porte son aérodrome.
Des conférences ont eu lieu entre l'Air, la
Guerre et la Ville de Paris et l'on peut dire qu'elles ont abouti à sauvegarder
le terrain des heures héroïques. Il était temps : l'Exposition de 1937, les
Habitations à loyers modérés, les P.T.T., etc., s'apprêtaient à le dépecer
littéralement.
Dans ses négociations, l'Air a poursuivi
deux buts. D'abord, empêcher que l'on diminue encore la valeur aéronautique du
terrain dans son état actuel. Ensuite, permettre à l'Aviation de l'utiliser
dans la mesure de ses besoins. Ces deux buts ont été atteints. Aucune
installation ne viendra réduire les dimensions présentes du terrain - qui, dans
son sens le moins favorable, a une longueur de 550 mètres et offre, dans un
autre sens, la possibilité d'une piste de 1.000 mètres, - en attendant que plus
tard, on puisse l'aménager en véritable aérodrome. En tout cas, un résultat
essentiel est acquis : on a préservé l'avenir.
Quand on songe à la situation incomparable
d'Issy-les-Moulineaux, on comprend l'immense portée de ce résultat.
Grâce à ce terrain, grâce aussi à la
conception très large des installations en cours d'achèvement, c'est bien une
véritable Cité de l'Air qui est en train de s'édifier en bordure du boulevard
Victor. Nous applaudissons à cette œuvre : M. Pierre Cot a eu le rare mérite de
voir grand et de donner au Ministère qui, à bref délai, deviendra le plus
important, le cadre qui lui convenait. Qu'il en soit complimenté et, avec lui,
tous les bons artisans de la Cité.
Georges HOUARD
Laurent Eynac |
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