Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France
Après
la bataille de la Marne ,
le général Joffre comprend toute la nécessité d’utiliser l’aviation à des fins
tactiques et stratégiques. Ainsi, il va faire appel à une personnalité reconnue
dans le monde de l’aéronautique militaire : le commandant Barès. Il va lui
confier la direction du service aéronautique du Grand Quartier Général afin de le
structurer et de définir les missions et donc les spécialités.
Le
commandant Barès, qui a commandé les escadrilles de la IVème Armée
au tout début du conflit, a parfaitement pressenti le rôle primordial que
l’aviation pouvait jouer. Il organise donc la reconnaissance des objectifs afin
de régler les tirs d’artillerie, l’observation afin d’assurer la couverture
photographique du terrain et de « maîtriser » le champ de bataille,
le bombardement dans un but tactique (attaque des troupes à la bombe) et
stratégique (toucher en profondeur les points sensibles ennemis). Il pense
également à la chasse des avions afin de protéger les différentes missions
prévues et d’interdire le survol des lignes et troupes amies par les avions
allemands. Il va confier cette tâche à un pilote expérimenté et connu
avant-guerre pour ses exploits aéronautiques : Jules Védrines.
Jules Védrines en 1916 Source gallica.bnf.fr |
Ainsi,
Barès a pour mission de mettre en place les premières doctrines opérationnelles
d’une arme en devenir et d’établir les bases d’un programme d’emploi ambitieux
mais indispensable. L’idée générale
étant d’acquérir la supériorité aérienne.
Mais,
il est confronté à des problèmes techniques et quantitatifs. En effet, les
avions de 1914 ne sont pas assez rapides pour effectuer efficacement les
missions prévues et peuvent difficilement éviter les risques liés à la défense
contre avions allemande. Ils ne sont pas assez puissants pour transporter sur
une longue distance le chargement de bombes destiné à frapper les centres
économiques de l’adversaire. Ils ne sont pas assez armés pour mener des combats
aériens et ne possèdent pas d’appareils photographiques et de système T.S.F.,
qui permettraient de répondre significativement aux attentes de l’observation et
de la reconnaissance. De plus, l’Armée française ne possède pas un nombre d’appareils
suffisant pour répondre aux missions évoquées, missions qui doivent être
assurées au profit des différentes armées présentes sur le front.
Ces
différents besoins, liés aux volontés du commandant Barès et qui bien
évidemment doivent également répondre aux dispositifs de l’adversaire, sont
précisés dès octobre 1914. A
cette date, le général Joffre demande expressément la création de 65
escadrilles, c'est-à-dire trois fois le potentiel aéronautique existant au 1er
août. Ce programme sera réalisé par le général Hirschauer, directeur de
l’aéronautique à Paris.
La
mise en service de nouveaux moteurs (Canton Unné 150 HP, Rhône 80 HP, Renault
130 HP) plus puissants et plus fiables permet d’équiper les Voisin de
bombardement, les Morane et les Nieuport ainsi que les Farman. Dans le but de
répondre parfaitement aux missions prévues, les avions sont munis de la T.S .F. (transmission sans fil
ou télégraphie sans fil) et d’appareils photographiques. Les obstacles
technologiques ont ainsi été contournés.
Dotée
de ce matériel moderne et forte de nouvelles escadrilles, l’aviation est prête
pour les opérations qui vont débuter dès le printemps 1915 et qui vont marquer
la guerre de position qui se met en place et qui va durer jusqu’au début de
l’année 1918.
Au
cours des batailles en Champagne, à Verdun et en Artois, l’aviation va mettre
au point des méthodes d’action au profit de l’artillerie et de l’infanterie.
Elle élabore des procédés d’observation des tirs, des systèmes de prises
photographiques, un système de renseignement spécial et de restitution des
informations recueillies. Ces travaux sont assurés par des officiers
d’artillerie nouvellement affectés et qui ont su profiter de ce nouvel « observatoire »,
l’avion, qui s’est avéré indispensable pour les batteries depuis quelques mois.
Ils ont pour noms, entre autres : Morisson, Molinié, Baulier, de
Gibergues, de Miribel, Routy, Fageol, Watteau, Balleyguier et Ayral.
Ces
officiers établissent, courant 1915, les premiers règlements sur l’observation
et la reconnaissance aériennes. Ces premiers textes fixent pour tous les
spécialistes, qu’ils soient aviateurs ou artilleurs, une codification,
c'est-à-dire les règles standardisées à suivre, afin de rationaliser l’ensemble
des informations données par tous les avions utilisés dans les batailles.
C’est
également à cette période que l’aviation de bombardement intervient de façon
significative dans les opérations grâce à la création d’unités spécialisées. Le
commandant Barès confie l’organisation des quatre premières escadrilles (avions
Voisin) au commandant de Goÿs de Mézerac. Ces unités sont alors réunies en un
groupe de bombardement composé de pilotes confirmés. On y retrouve entre
autres, le capitaine Challe, le lieutenant de vaisseau de Laborde et les
lieutenants Féquant, de la
Morlais , Mouchard, Coutisson, Do-Hu et Patridge.
Les
escadrilles effectuent des raids sur les arrières du champ de bataille et
visent en particulier le potentiel économique de l’adversaire. Les nombreuses
batteries de D.C.A. positionnées sur les points vitaux par les allemands comme
par exemple à Somme-Py, Challerange, Vouziers, Thiaucourt, Conflans, prouvent
toute la crainte inspirée par les bombardiers français. Mais les pilotes,
lorsqu’ils ne sont pas utilisés en appui des opérations terrestres, effectuent
également des bombardements stratégiques, la plupart du temps en représailles à
l’utilisation des gaz par l’ennemi : missions sur Karlsruhe, Ludwigshafen
et la vallée de la Sarre. Ces
raids sur l’Allemagne, que l’on peut considérer comme les premières opérations
aériennes stratégiques de l’histoire, provoquent surprise, émoi et adaptation
chez l’adversaire. Il est alors obligé de consacrer énormément de moyens afin
de mettre en place un système efficace de défense aérienne.
Ces
différentes expéditions d’observation, de reconnaissance et de bombardement
font prendre conscience aux deux parties qu’il est indispensable de disposer
d’une aviation de chasse dans le but de protéger les avions qui assurent ces
opérations et d’interdire aux aéroplanes adverses de venir survoler le
territoire. Il est donc nécessaire de créer une véritable aviation de chasse.
Cette création sera possible grâce notamment à la supériorité technique du
Morane-Parasol et à la mise au point du tir à travers l’hélice imaginé par
Garros. Ainsi, Garros et Pégoud vont se mettre à l’honneur en abattant
plusieurs de leurs adversaires. Ils ouvrent ainsi l’ère des combats aériens.
L’aviation perdra trop rapidement ces deux pilotes : Garros par suite
d’une panne chez l’ennemi et Pégoud dans un combat aérien.
Ainsi,
pendant les premières opérations de 1914-1915, l’aviation applique et
perfectionne différents modes d’action dans les domaines d’emploi
suivants : observation, bombardement et chasse. Elle est appuyée et
encouragée par le Haut Commandement qui a très vite compris que cette arme
nouvelle était appelée à jouer un rôle déterminant tant d’un point de vue
tactique que stratégique. Le général Foch rappelle aux escadrilles
d’observation, aux chasseurs et aux bombardiers les principes de base et leur
donne les conseils doctrinaux suivants : pas de bataille sans artillerie, pas d’artillerie sans aviation ;
permettre aux siens de voir et boucher l’œil de l’ennemi ; pas trop de
rêves lointains, tout le monde dans la bataille.
Hirschauer passe les troupes en revue 1915 Source gallica.bnf.fr |
Bibliographie :
FACON,
Patrick, Histoire de l’armée de l’air,
La documentation française, Paris, 2009.
FROGE
Christian (dir.), La
Grande Guerre vécue, racontée, illustrée par les
combattants, Tome 2, Aristide Quillet éditeur, Paris, 1922, pp. 313-329.
KENNETT,
Lee, La première guerre aérienne
1914-1918, Economica, Paris, 2005.
PAGE,
Georges, L’aviation française 1914-1918,
Editions Grancher, paris, 2011.
Le
Fana de l’aviation, L’aviation française
pendant la guerre 1914-1918, Hors-série n° 48, avril 2012.
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