mardi 12 mai 2015

L’aviation dans la Grande Guerre. La guerre de mouvement : août à décembre 1914

Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

La mobilisation de 1914 trouve une France dotée d’une aviation certes brillante, d’un point de vue sportif, mais peu significative d’un point de vue quantitatif (l’aviation ne représente que 0,5% des effectifs mobilisés). Les pilotes, ou plus exactement, les « aventuriers du ciel », « les pionniers de l’aviation », sont des hommes remarquables qui, les premiers, se sont élancés à la conquête de l’air et qui, sans se laisser ébranler par un impressionnant tribut de sacrifices, ont magnifiquement atteint leur but. C’est entre autres, Roland Garros, Brindejonc des Moulinais, Pégoud, Védrines, de Rose, Ménard, Bellanger, tous ces aviateurs qui se sont illustrés dans les meetings, les différentes épreuves et circuits d’avant-guerre et qui ont fait connaître et reconnaître cette aviation naissante. La France est alors sous le charme, cette France qui en attendant la Revanche se passionne pour les sports mécaniques en tout genre où l’homme domine la machine, comme le tour de France, les courses automobiles ou de motocyclettes et, bien évidemment, les épreuves internationales où s’illustrent les aéroplanes de tous les futurs pays belligérants.


Les avions portent le nom de leur constructeur : Blériot, Deperdussin, Morane, Nieuport, Farman, Voisin, Caudron, Dorand. Des noms qui résonnent dans les principales capitales européennes mais également de l’autre côté de l’Atlantique où les exploits dans les compétitions sportives sont toujours relatés par une presse spécialisée à l’affût du moindre évènement aéronautique.
Ainsi, pour cette presse et donc pour la population, tout est prêt pour que cette jeune aviation se prête à d’héroïques sacrifices. Tout est mis en place afin que les chroniqueurs de l’époque construisent un héros destiné à faire vibrer le patriotisme d’un pays préparé à un conflit réparateur. L’heure est à l’héroïsme, la scène et les acteurs sont derrière le rideau.
Cependant cette jeune aviation, dans les faits, répond mal aux besoins d’une guerre. Les équipages, bien préparés physiquement, ne le sont pas pour les missions militaires. Les conflits ne peuvent pas être assimilés à des confrontations sportives et les aviateurs l’apprendront à leurs dépends. Côté institutionnel, seules l’observation et la reconnaissance sont alors envisagées, c'est-à-dire l’adaptation de l’appareil à la « reconnaissance dite de cavalerie ». Il faudra attendre les grandes batailles pour comprendre les possibilités de ce vecteur dans des domaines comme le réglage de tir, la couverture photographique, le bombardement ou encore la chasse.
Les avions, nous l’avons vu, sont de types trop variés. Ceci entraîne inévitablement des difficultés dans les missions et des problèmes évidents de logistique et de maintenance. De plus, cette aéronautique militaire est trop peu nombreuse pour mener à bien les rôles que l’on veut lui voir assumer. L’effort sera alors gigantesque afin d’arriver à un développement acceptable et nécessaire pour atteindre une efficacité militaire significative.
Au début du conflit, l’aviation dispose de 138 aéroplanes répartis dans 23 escadrilles rattachées aux corps d’armée et à la cavalerie. Elle possède également 12 compagnies d’aérostiers et 6 dirigeables. De son côté, l’Allemagne dispose de 232 avions et de 12 dirigeables.
Dans les premiers jours du mois d’août, ces escadrilles rejoignent les villes d’Epinal, de Nancy, de Verdun, de Stenay et de Mézières. Les pilotes, au nombre de 200, n’ont aucune expérience de la guerre et du combat aérien. A cette époque, les seuls enseignements sont ceux tirés des conflits en Libye et dans les Balkans. Ainsi, sans avoir une connaissance particulière des quelques principes élémentaires de la bataille aérienne, les aviateurs se lancent à la découverte de la guerre dans la troisième dimension.


Les certitudes, les manœuvres idéalisées, vont vite voler en éclats face à des évidences de terrain qui s’enchaînent brutalement. L’aviation va devoir s’adapter, les dogmes vont tomber sous le choc des armées terrestres qui vont s’affronter violemment en Belgique, au Luxembourg, en Lorraine et en Alsace. L’heure n’est plus aux exploits sportifs, le pilote de guerre doit se faire une place dans la « mêlée ». Il va devoir composer avec les opérations en fonction des demandes et des attentes trop nombreuses. De plus, les chefs militaires, pour la plupart, ignorent totalement les possibilités mais aussi les limites de ce service, ce qui entraîne inévitablement une utilisation inappropriée de cette arme. Il faut souligner également que ces chefs militaires, au tout début du conflit, ne sont pas convaincus par les capacités de cette aviation et se cantonnent dans une réserve très prudente en ce qui concerne notamment les renseignements recueillis par les aviateurs.
Mais, très vite, ils vont s’apercevoir de l’importance tactique des aéroplanes. En effet, les aviateurs vont s’illustrer pendant la première phase des combats, juste après la mobilisation, c'est-à-dire au mois d’août. C’est pendant cette période que l’on a appelé la bataille des Frontières et qui voit s’affronter les troupes allemandes et franco-britanniques, que les aviateurs vont effectuer leurs premiers faits d’arme. C’est ensuite, pendant le redressement de la Marne, que les aéroplanes vont prouver toute leur efficacité dans la recherche du renseignement. En effet, les avions du camp retranché de Paris, commandé par le général Gallieni, vont confirmer l’inflexion prise par les armées allemandes (armée de von Kluck) et ainsi apporter tous les éléments nécessaires afin de mener une contre-attaque décisive, attaque qui sera le prélude de la bataille de la Marne. C’est bien évidemment pendant cette bataille que les reconnaissances aériennes ont permis à l’état-major d’avoir un point de situation précis et indispensable de l’ensemble de la situation, et à l’artillerie d’assurer les réglages de tir et de mettre à mal les armées allemandes. C’est également pendant la dernière phase de cette guerre de mouvement, de septembre à décembre, c'est-à-dire la « course à la mer », que l’aviation va accompagner et soutenir l’infanterie et apporter son concours aux « décideurs militaires », par l’intermédiaire notamment de la photographie aérienne. En effet, le front est en train de se figer, de se consolider et les positions respectives doivent être parfaitement connues afin d’éviter tout contournement par le flanc. Mais c’est aussi à cette époque que le général Joffre, commandant en chef, comprend tout l’intérêt des victoires aériennes, suite à celle de Frantz et Quenault le 5 octobre près de Jonchery-sur-Vesle. Elle est considérée comme la première dans l’histoire de la guerre aérienne.


Ainsi, la guerre de mouvement laisse la place à la guerre de tranchées et ce jusqu’en 1918. L’aviation durant cette première période a donc fait ses preuves. Elle peut dès lors « passer à l’offensive » et élargir le spectre de ses missions.
Le général Joffre, que le commandant Barès, chef du service aéronautique du Grand Quartier Général, avait surnommé le « père de l’aviation », ne se trompe pas lorsqu’il dit en novembre 1914 : « l’aviation n’est pas seulement, comme on avait pu le supposer autrefois, un instrument de reconnaissance. Elle s’est rendue, sinon indispensable, du moins extrêmement utile pour le réglage du tir de l’artillerie. Elle a montré, en outre, que par le lancement de projectiles à explosifs puissants, elle était en mesure d’agir comme une arme offensive, soit pour des missions éloignées, soit en liaison avec les autres troupes. Enfin, elle a encore le devoir de pourchasser et de détruire les avions ennemis. »
La guerre aérienne pouvait alors « gagner ses galons » grâce à l’immobilisation des armées, à l’indécision des opérations menées, au caractère particulièrement inhumain et brutal des affrontements et à la volonté des dirigeants de préserver le moral et de faire espérer toute la France de l’arrière. Elle était en effet perçue comme une guerre propre, une guerre chevaleresque menée par des héros romantiques, une « guerre en mouvement » qui répondait parfaitement aux attentes des médias et aux espérances de tout un peuple.            

Bibliographie

FACON, Patrick, Histoire de l’armée de l’air, La documentation française, Paris, 2009.
FROGE Christian (dir.), La Grande Guerre vécue, racontée, illustrée par les combattants, Tome 2, Aristide Quillet éditeur, Paris, 1922, pp. 313-329.
Le Fana de l’aviation, L’aviation française pendant la guerre 1914-1918, Hors-série n° 48, avril 2012.



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