Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661,
Salon Air, France
La
mobilisation de 1914 trouve une France dotée d’une aviation certes brillante,
d’un point de vue sportif, mais peu significative d’un point de vue quantitatif
(l’aviation ne représente que 0,5% des effectifs mobilisés). Les pilotes, ou
plus exactement, les « aventuriers du ciel », « les pionniers de
l’aviation », sont des hommes remarquables qui, les premiers, se sont
élancés à la conquête de l’air et qui, sans se laisser ébranler par un
impressionnant tribut de sacrifices, ont magnifiquement atteint leur but. C’est
entre autres, Roland Garros, Brindejonc des Moulinais, Pégoud, Védrines, de
Rose, Ménard, Bellanger, tous ces aviateurs qui se sont illustrés dans les
meetings, les différentes épreuves et circuits d’avant-guerre et qui ont fait
connaître et reconnaître cette aviation naissante. La France est alors sous le
charme, cette France qui en attendant la Revanche se passionne pour les sports mécaniques
en tout genre où l’homme domine la machine, comme le tour de France, les
courses automobiles ou de motocyclettes et, bien évidemment, les épreuves internationales
où s’illustrent les aéroplanes de tous les futurs pays belligérants.
Les avions
portent le nom de leur constructeur : Blériot, Deperdussin, Morane,
Nieuport, Farman, Voisin, Caudron, Dorand. Des noms qui résonnent dans les
principales capitales européennes mais également de l’autre côté de
l’Atlantique où les exploits dans les compétitions sportives sont toujours
relatés par une presse spécialisée à l’affût du moindre évènement aéronautique.
Ainsi,
pour cette presse et donc pour la population, tout est prêt pour que cette
jeune aviation se prête à d’héroïques sacrifices. Tout est mis en place afin
que les chroniqueurs de l’époque construisent un héros destiné à faire vibrer
le patriotisme d’un pays préparé à un conflit réparateur. L’heure est à
l’héroïsme, la scène et les acteurs sont derrière le rideau.
Cependant
cette jeune aviation, dans les faits, répond mal aux besoins d’une guerre. Les
équipages, bien préparés physiquement, ne le sont pas pour les missions
militaires. Les conflits ne peuvent pas être assimilés à des confrontations
sportives et les aviateurs l’apprendront à leurs dépends. Côté institutionnel,
seules l’observation et la reconnaissance sont alors envisagées, c'est-à-dire
l’adaptation de l’appareil à la « reconnaissance dite de cavalerie ».
Il faudra attendre les grandes batailles pour comprendre les possibilités de ce
vecteur dans des domaines comme le réglage de tir, la couverture photographique,
le bombardement ou encore la chasse.
Les
avions, nous l’avons vu, sont de types trop variés. Ceci entraîne
inévitablement des difficultés dans les missions et des problèmes évidents de
logistique et de maintenance. De plus, cette aéronautique militaire est trop
peu nombreuse pour mener à bien les rôles que l’on veut lui voir assumer.
L’effort sera alors gigantesque afin d’arriver à un développement acceptable et
nécessaire pour atteindre une efficacité militaire significative.
Au
début du conflit, l’aviation dispose de 138 aéroplanes répartis dans 23
escadrilles rattachées aux corps d’armée et à la cavalerie. Elle possède
également 12 compagnies d’aérostiers et 6 dirigeables. De son côté, l’Allemagne
dispose de 232 avions et de 12 dirigeables.
Dans
les premiers jours du mois d’août, ces escadrilles rejoignent les villes
d’Epinal, de Nancy, de Verdun, de Stenay et de Mézières. Les pilotes, au nombre
de 200, n’ont aucune expérience de la guerre et du combat aérien. A cette
époque, les seuls enseignements sont ceux tirés des conflits en Libye et dans
les Balkans. Ainsi, sans avoir une connaissance particulière des quelques
principes élémentaires de la bataille aérienne, les aviateurs se lancent à la
découverte de la guerre dans la troisième dimension.
Les
certitudes, les manœuvres idéalisées, vont vite voler en éclats face à des
évidences de terrain qui s’enchaînent brutalement. L’aviation va devoir
s’adapter, les dogmes vont tomber sous le choc des armées terrestres qui vont
s’affronter violemment en Belgique, au Luxembourg, en Lorraine et en Alsace.
L’heure n’est plus aux exploits sportifs, le pilote de guerre doit se faire une
place dans la « mêlée ». Il va devoir composer avec les opérations en
fonction des demandes et des attentes trop nombreuses. De plus, les chefs
militaires, pour la plupart, ignorent totalement les possibilités mais aussi
les limites de ce service, ce qui entraîne inévitablement une utilisation
inappropriée de cette arme. Il faut souligner également que ces chefs
militaires, au tout début du conflit, ne sont pas convaincus par les capacités
de cette aviation et se cantonnent dans une réserve très prudente en ce qui
concerne notamment les renseignements recueillis par les aviateurs.
Mais,
très vite, ils vont s’apercevoir de l’importance tactique des aéroplanes. En
effet, les aviateurs vont s’illustrer pendant la première phase des combats, juste
après la mobilisation, c'est-à-dire au mois d’août. C’est pendant cette période
que l’on a appelé la bataille des Frontières et qui voit s’affronter les
troupes allemandes et franco-britanniques, que les aviateurs vont effectuer
leurs premiers faits d’arme. C’est ensuite, pendant le redressement de la Marne , que les aéroplanes
vont prouver toute leur efficacité dans la recherche du renseignement. En
effet, les avions du camp retranché de Paris, commandé par le général Gallieni,
vont confirmer l’inflexion prise par les armées allemandes (armée de von Kluck)
et ainsi apporter tous les éléments nécessaires afin de mener une
contre-attaque décisive, attaque qui sera le prélude de la bataille de la
Marne. C ’est bien évidemment pendant cette
bataille que les reconnaissances aériennes ont permis à l’état-major d’avoir un
point de situation précis et indispensable de l’ensemble de la situation, et à
l’artillerie d’assurer les réglages de tir et de mettre à mal les armées
allemandes. C’est également pendant la dernière phase de cette guerre de
mouvement, de septembre à décembre, c'est-à-dire la « course à la mer »,
que l’aviation va accompagner et soutenir l’infanterie et apporter son concours
aux « décideurs militaires », par l’intermédiaire notamment de la
photographie aérienne. En effet, le front est en train de se figer, de se
consolider et les positions respectives doivent être parfaitement connues afin
d’éviter tout contournement par le flanc. Mais c’est aussi à cette époque que
le général Joffre, commandant en chef, comprend tout l’intérêt des victoires
aériennes, suite à celle de Frantz et Quenault le 5 octobre près de
Jonchery-sur-Vesle. Elle est considérée comme la première dans l’histoire de la
guerre aérienne.
Ainsi,
la guerre de mouvement laisse la place à la guerre de tranchées et ce jusqu’en
1918. L’aviation durant cette première période a donc fait ses preuves. Elle
peut dès lors « passer à l’offensive » et élargir le spectre de ses
missions.
Le général
Joffre, que le commandant Barès, chef du service aéronautique du Grand Quartier
Général, avait surnommé le « père de l’aviation », ne se trompe pas
lorsqu’il dit en novembre 1914 : « l’aviation n’est pas seulement,
comme on avait pu le supposer autrefois, un instrument de reconnaissance. Elle
s’est rendue, sinon indispensable, du moins extrêmement utile pour le réglage
du tir de l’artillerie. Elle a montré, en outre, que par le lancement de
projectiles à explosifs puissants, elle était en mesure d’agir comme une arme
offensive, soit pour des missions éloignées, soit en liaison avec les autres
troupes. Enfin, elle a encore le devoir de pourchasser et de détruire les
avions ennemis. »
La
guerre aérienne pouvait alors « gagner ses galons » grâce à
l’immobilisation des armées, à l’indécision des opérations menées, au caractère
particulièrement inhumain et brutal des affrontements et à la volonté des
dirigeants de préserver le moral et de faire espérer toute la France de l’arrière. Elle
était en effet perçue comme une guerre propre, une guerre chevaleresque menée
par des héros romantiques, une « guerre en mouvement » qui répondait
parfaitement aux attentes des médias et aux espérances de tout un peuple.
Bibliographie
FACON,
Patrick, Histoire de l’armée de l’air,
La documentation française, Paris, 2009.
FROGE
Christian (dir.), La
Grande Guerre vécue, racontée, illustrée par les
combattants, Tome 2, Aristide Quillet éditeur, Paris, 1922, pp. 313-329.
Le
Fana de l’aviation, L’aviation française
pendant la guerre 1914-1918, Hors-série n° 48, avril 2012.
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