Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661,
Salon Air, France
Cet
article paru dans le numéro 32 du journal Les
Ailes en date du jeudi 26 janvier 1922, est un hommage aux mécaniciens
souvent considérés comme des personnages
de l’ombre. La presse spécialisée comme L’Illustration,
La vie au grand air ou encore La Guerre aérienne illustrée, a mis en avant,
pendant tout le conflit, le pilote et en particulier le chasseur. Il n’y avait
donc pas de place pour le mécanicien qui est resté dans l’anonymat durant toute
la guerre. Les quelques représentations sont toujours très connotées. En effet
le mécanicien, palefrenier des temps modernes, est souvent dépeint comme le
spécialiste qui attend son « maître » désespérément sur le terrain en
scrutant le ciel ou qui pleure sa disparition au fond du hangar sachant qu’il
ne rentrera pas. Il sera donc le serviteur, le « garçon d’écurie »,
discret et attentionné.
Il
faut attendre la fin de la Grande Guerre
pour que les journalistes parlent de tous les spécialistes. Ainsi, les
chroniqueurs écrivent, dans un premier temps, sur l’aviation de bombardement et
de reconnaissance, aviations invisibles que les publicistes ont délibérément
oubliées. Ensuite, et ceci grâce à un contexte professionnel plus favorable (raids,
records, meetings, créations des premières lignes aériennes, …), ces
chroniqueurs vont s’intéresser aux spécialistes de l’ombre, aux techniciens,
aux mécaniciens, aux rampants.
La
démarche est noble et juste. Cependant, sans tomber dans l’anachronisme, il est
intéressant de remarquer qu’il est difficile de se défaire de certaines idées
et de certaines représentations. Ainsi, dans les quelques lignes qui sont
proposées ci-dessous, certains qualificatifs, certains termes rappellent
l’ordre hiérarchique qu’il ne faut surtout pas bousculer. Georges Houard parle
de personnages obscurs, d’humbles ouvriers, de serviteurs modestes et dévoués,
de spécialistes dont la confiance envers le pilote auquel ils sont attachés est
touchante. Cet article, ne représente donc que le début d’une reconnaissance
médiatique. Tout au long du XXème siècle, le temps va faire son
œuvre et permettre aux mécaniciens d’acquérir définitivement un respect mérité
et authentique.
Le Vieux Charles Olivier Montagnier |
D’UNE AILE A L’AUTRE
Il faut penser au mécanicien
Un ami des Ailes, M. Edmond Blanc a parlé
ici même de la formation des mécaniciens d’aviation[1].
Je voudrais revenir sur ce sujet en me plaçant à un point de vue
différent : je voudrais insister sur le rôle admirable du mécanicien dont
on ne parle presque jamais et qui participe cependant, comme le constructeur et
le pilote, à la réussite d’une performance, d’un voyage, au succès d’une ligne
aérienne et à son développement.
Le mécanicien, personnage obscur pour lequel
on soulève rarement le voile de l’anonymat, occupe, en aviation, un poste
d’honneur sur lequel pèse une énorme responsabilité morale ; pourtant,
quel est le voyageur qui, s’embarquant au Bourget à destination de Londres ou
de Bruxelles, songe un instant que sa sécurité repose autant sur la conscience
professionnelle du mécanicien que sur l’expérience et l’habilité du
pilote ? C’est le mécanicien qui assure l’entretien et le réglage de
l’appareil, du moteur ; c’est lui qui veille au fonctionnement
satisfaisant des différents organes de l’avion ; c’est en lui que souvent
le pilote a mis toute sa confiance quant à la vérification minutieuse du bon
état de la machine.
On a songé un moment à renseigner le
voyageur sur les antécédents aéronautiques du pilote auquel il se confie ;
on espérait ainsi donner aux craintifs une garantie de plus sur la sécurité du
voyage aérien qu’ils allaient entreprendre. On y a renoncé pour plusieurs
raisons et je crois qu’on a bien fait. Mais il n’a jamais été question de
fournir aux passagers des précisions rassurantes sur la valeur des mécaniciens
chargés en quelque sorte de la préparation du voyage. Les passagers sont pleins
d’attention pour le pilote de qui dépend leur précieuse existence ; ils ne
se préoccupent pas du mécanicien qui, à ce point de vue, mérite autant de
considération que le pilote.
Il faut bien se dire que si les transports
aériens marquent une progression constante dans le nombre des passagers, dans
le tonnage des marchandises, que s’ils font preuve d’une régularité de plus en
plus grande, une certaine part, dans ce résultat encourageant, revient à ces
modestes et dévoués collaborateurs que sont, pour les compagnies, les
mécaniciens d’aviation.
Si, quittant les mécaniciens affectés aux
transports aériens, nous passons à ceux qui assurent la mise au point des
appareils destinés à des épreuves dites sportives, à des raids ou à des records,
nous constatons que, loin de diminuer, l’intérêt que présentent ces humbles
ouvriers d’une grands cause ne fait que s’accroître. Ceux qui suivent
l’aviation depuis ses débuts se souviennent encore du dévouement légendaire
dont faisaient preuve les « mécanos » pour leur « patron ».
Ce dévouement, pour ne plus être signalé à l’attention des foules, n’en
subsiste pas moins encore à l’heure actuelle.
Un souvenir, à ce propos, me vient à
l’esprit : l’ardeur, l’empressement que manifestaient, lors de la dernière
Coupe Deutsch, les mécaniciens respectifs des concurrents ; quel que soit
le pilote dont il s’agissait, ses mécaniciens avaient visiblement à cœur son
succès et s’efforçaient de l’assurer dans la mesure de leurs moyens. Leur
confiance dans le triomphe du pilote au service duquel ils étaient attachés
devenait presque touchante.
Dans ces circonstances, on a l’impression que
le mécanicien d’aviation cesse vraiment d’être un simple « salarié »
pour devenir un « collaborateur » dans toute l’acception du mot.
Oui, le mécanicien collabore au succès du
pilote ; souvent même il en partage les risques sans, hélas en partager la
gloire. Le mécanicien est fréquemment le passager de son « patron »
même et surtout lorsqu’il s’agit de tenter
un raid important ou une performance audacieuse. Vous vous souvenez du
Tour d’Europe accompli par le regretté Roget, accompagné de son mécanicien,
mais vous ne vous rappelez plus du nom de ce dernier. Vous vous souvenez que
Védrines a trouvé la mort avec son mécanicien, mais dites-moi le nom de ce
héros. Vous n’en avez pas gardé le souvenir et moi-même, je dois l’avouer, à
moins de le chercher dans un dossier, je serais incapable de vous donner ce
renseignement.
Combien de mécaniciens, morts pour la cause
aérienne, n’ont pas eu l’hommage d’une simple citation dans les journaux.
Combien sont tombés aux côtés de pilotes
connus ; on a justement célébré ceux-ci, mais nous avons ignoré et nous
ignorerons toujours ceux-là.
Cependant quand on songe aux services rendus
par des hommes comme Benoist, le fidèle compagnon de Poulet, comme Robin, le
mécanicien de Bossoutrot, on déplore que d’aussi bons serviteurs de
l’aéronautique soient complètement ignorés du grand public ; on déplore
encore davantage que tant d’autres, aussi méritants que ceux-là, soient
absolument inconnus, même des fervents de l’aviation.
Le mécanicien d’aviation a droit à plus
d’égard. Il ne mérite pas cette obscurité dont on l’entoure ; son
dévouement, son abnégation, la part importante qu’il prend au triomphe de
l’idée aérienne, l’autorisent à prétendre, lui aussi, aux « miettes de la
gloire ».
Qu’on parle un peu plus de lui, qu’on
n’hésite pas à accoler son nom à celui du pilote qui vient d’accomplir un
exploit. Cela n’amoindrira nullement le rôle de ce pilote et le mécanicien,
sensible à l’hommage rendu, ne mettra que plus de cœur à sa tâche.
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