mardi 12 mai 2015

Il faut penser au mécanicien

Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

Cet article paru dans le numéro 32 du journal Les Ailes en date du jeudi 26 janvier 1922, est un hommage aux mécaniciens souvent considérés comme des personnages de l’ombre. La presse spécialisée comme L’Illustration, La vie au grand air ou encore La Guerre aérienne illustrée, a mis en avant, pendant tout le conflit, le pilote et en particulier le chasseur. Il n’y avait donc pas de place pour le mécanicien qui est resté dans l’anonymat durant toute la guerre. Les quelques représentations sont toujours très connotées. En effet le mécanicien, palefrenier des temps modernes, est souvent dépeint comme le spécialiste qui attend son « maître » désespérément sur le terrain en scrutant le ciel ou qui pleure sa disparition au fond du hangar sachant qu’il ne rentrera pas. Il sera donc le serviteur, le « garçon d’écurie », discret et attentionné.
Il faut attendre la fin de la Grande Guerre pour que les journalistes parlent de tous les spécialistes. Ainsi, les chroniqueurs écrivent, dans un premier temps, sur l’aviation de bombardement et de reconnaissance, aviations invisibles que les publicistes ont délibérément oubliées. Ensuite, et ceci grâce à un contexte professionnel plus favorable (raids, records, meetings, créations des premières lignes aériennes, …), ces chroniqueurs vont s’intéresser aux spécialistes de l’ombre, aux techniciens, aux mécaniciens, aux rampants.
La démarche est noble et juste. Cependant, sans tomber dans l’anachronisme, il est intéressant de remarquer qu’il est difficile de se défaire de certaines idées et de certaines représentations. Ainsi, dans les quelques lignes qui sont proposées ci-dessous, certains qualificatifs, certains termes rappellent l’ordre hiérarchique qu’il ne faut surtout pas bousculer. Georges Houard parle de personnages obscurs, d’humbles ouvriers, de serviteurs modestes et dévoués, de spécialistes dont la confiance envers le pilote auquel ils sont attachés est touchante. Cet article, ne représente donc que le début d’une reconnaissance médiatique. Tout au long du XXème siècle, le temps va faire son œuvre et permettre aux mécaniciens d’acquérir définitivement un respect mérité et authentique.       

Le Vieux Charles
Olivier Montagnier

D’UNE AILE A L’AUTRE

Il faut penser au mécanicien

Un ami des Ailes, M. Edmond Blanc a parlé ici même de la formation des mécaniciens d’aviation[1]. Je voudrais revenir sur ce sujet en me plaçant à un point de vue différent : je voudrais insister sur le rôle admirable du mécanicien dont on ne parle presque jamais et qui participe cependant, comme le constructeur et le pilote, à la réussite d’une performance, d’un voyage, au succès d’une ligne aérienne et à son développement.
Le mécanicien, personnage obscur pour lequel on soulève rarement le voile de l’anonymat, occupe, en aviation, un poste d’honneur sur lequel pèse une énorme responsabilité morale ; pourtant, quel est le voyageur qui, s’embarquant au Bourget à destination de Londres ou de Bruxelles, songe un instant que sa sécurité repose autant sur la conscience professionnelle du mécanicien que sur l’expérience et l’habilité du pilote ? C’est le mécanicien qui assure l’entretien et le réglage de l’appareil, du moteur ; c’est lui qui veille au fonctionnement satisfaisant des différents organes de l’avion ; c’est en lui que souvent le pilote a mis toute sa confiance quant à la vérification minutieuse du bon état de la machine.
On a songé un moment à renseigner le voyageur sur les antécédents aéronautiques du pilote auquel il se confie ; on espérait ainsi donner aux craintifs une garantie de plus sur la sécurité du voyage aérien qu’ils allaient entreprendre. On y a renoncé pour plusieurs raisons et je crois qu’on a bien fait. Mais il n’a jamais été question de fournir aux passagers des précisions rassurantes sur la valeur des mécaniciens chargés en quelque sorte de la préparation du voyage. Les passagers sont pleins d’attention pour le pilote de qui dépend leur précieuse existence ; ils ne se préoccupent pas du mécanicien qui, à ce point de vue, mérite autant de considération que le pilote.
Il faut bien se dire que si les transports aériens marquent une progression constante dans le nombre des passagers, dans le tonnage des marchandises, que s’ils font preuve d’une régularité de plus en plus grande, une certaine part, dans ce résultat encourageant, revient à ces modestes et dévoués collaborateurs que sont, pour les compagnies, les mécaniciens d’aviation.
Si, quittant les mécaniciens affectés aux transports aériens, nous passons à ceux qui assurent la mise au point des appareils destinés à des épreuves dites sportives, à des raids ou à des records, nous constatons que, loin de diminuer, l’intérêt que présentent ces humbles ouvriers d’une grands cause ne fait que s’accroître. Ceux qui suivent l’aviation depuis ses débuts se souviennent encore du dévouement légendaire dont faisaient preuve les « mécanos » pour leur « patron ». Ce dévouement, pour ne plus être signalé à l’attention des foules, n’en subsiste pas moins encore à l’heure actuelle.
Un souvenir, à ce propos, me vient à l’esprit : l’ardeur, l’empressement que manifestaient, lors de la dernière Coupe Deutsch, les mécaniciens respectifs des concurrents ; quel que soit le pilote dont il s’agissait, ses mécaniciens avaient visiblement à cœur son succès et s’efforçaient de l’assurer dans la mesure de leurs moyens. Leur confiance dans le triomphe du pilote au service duquel ils étaient attachés devenait presque touchante.
Dans ces circonstances, on a l’impression que le mécanicien d’aviation cesse vraiment d’être un simple « salarié » pour devenir un « collaborateur » dans toute l’acception du mot.
Oui, le mécanicien collabore au succès du pilote ; souvent même il en partage les risques sans, hélas en partager la gloire. Le mécanicien est fréquemment le passager de son « patron » même et surtout lorsqu’il s’agit de tenter  un raid important ou une performance audacieuse. Vous vous souvenez du Tour d’Europe accompli par le regretté Roget, accompagné de son mécanicien, mais vous ne vous rappelez plus du nom de ce dernier. Vous vous souvenez que Védrines a trouvé la mort avec son mécanicien, mais dites-moi le nom de ce héros. Vous n’en avez pas gardé le souvenir et moi-même, je dois l’avouer, à moins de le chercher dans un dossier, je serais incapable de vous donner ce renseignement.
Combien de mécaniciens, morts pour la cause aérienne, n’ont pas eu l’hommage d’une simple citation dans les journaux.
Combien sont tombés aux côtés de pilotes connus ; on a justement célébré ceux-ci, mais nous avons ignoré et nous ignorerons toujours ceux-là.
Cependant quand on songe aux services rendus par des hommes comme Benoist, le fidèle compagnon de Poulet, comme Robin, le mécanicien de Bossoutrot, on déplore que d’aussi bons serviteurs de l’aéronautique soient complètement ignorés du grand public ; on déplore encore davantage que tant d’autres, aussi méritants que ceux-là, soient absolument inconnus, même des fervents de l’aviation.
Le mécanicien d’aviation a droit à plus d’égard. Il ne mérite pas cette obscurité dont on l’entoure ; son dévouement, son abnégation, la part importante qu’il prend au triomphe de l’idée aérienne, l’autorisent à prétendre, lui aussi, aux « miettes de la gloire ».
Qu’on parle un peu plus de lui, qu’on n’hésite pas à accoler son nom à celui du pilote qui vient d’accomplir un exploit. Cela n’amoindrira nullement le rôle de ce pilote et le mécanicien, sensible à l’hommage rendu, ne mettra que plus de cœur à sa tâche.

Georges HOUARD



[1] Les Ailes, n° 8, 11 août 1921.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire