Camille BRUN et
Christian BRUN
Henry
Bordeaux, académicien, écrivain reconnu, oeuvre dans l’aviation durant le
premier conflit mondial en tant qu’officier d’état-major. Ses écrits, dits
historiques, portent en particulier sur la vie des héros et la figure des
chefs. Son style est souvent emphatique et très classique. La plupart de ses
œuvres sont destinées à la jeunesse. Il est nécessaire de souligner que
Bordeaux a des convictions conservatrices et royalistes que l’on retrouve en
particulier dans sa façon d’utiliser l’histoire. Il est à souligner qu’Henry
Bordeaux est probablement l’auteur le plus lu au début du XXème siècle et fut
un des romanciers les plus populaires.
Ses
œuvres historiques se réfèrent constamment aux héros grecs, à l’épopée de
Charlemagne et en particulier à Roland, mais également aux héros bâtisseurs et
sauveurs de l’histoire de France et bien évidemment aux généraux d’Empire. Il
fait donc appel aux héros romantiques, aux enfants soldats, aux héros gardiens
et protecteurs. Il écrit en pleine période de propagande, et de censure, ce qui
explique que Jean-Norton Cru puisse épingler Bordeaux comme un « demi-publiciste de propagande » qui
défigure la guerre puisque n’étant pas un témoin direct. En effet, la guerre
aérienne n’a pas été couverte par les journalistes. De plus on peut penser que
ses écrits correspondent à une commande, et probablement à celle du père de
Georges Guynemer, d’où cette complaisance, cette emphase.
Le "Vieux Charles" en vol |
Examiné
à la lumière du contexte particulier de la Première Guerre
mondiale (propagande, censure, patriotisme exacerbé, presse spécialisée), le
déroulement de la courte vie de Guynemer va permettre de tracer les lignes de
construction du personnage et d’expliquer comment l’image de ce pilote a été
dessinée. L’étude tentera de dégager les phases et les éléments mis en place
afin de construire le mythe. Cette montée en puissance vers la gloire comporte
des étapes essentielles que l’on retrouve dans la plupart des hagiographies.
Henry
Bordeaux qui procède donc par étapes va d’abord donner naissance au futur héros.
Il invente une ascendance guerrière à Guynemer qui doit appartenir à la race
des sauveurs et des héros protecteurs. Dans cette ascendance l’image du père, ancien
officier saint-cyrien sert celle du fils. Elle est omniprésente tout au long de
cette aventure. Né la veille de Noël, l’auteur se sert de ce signe annonciateur
pour associer les références religieuses et laïques. Il dépeint ensuite un
adolescent tenace, volontaire et meneur, c'est-à-dire possédant les parfaites
qualités du chasseur. En ce qui concerne ses capacités physiques l’auteur joue
sur l’agilité, le coup d’œil, la ruse. Il nous entraîne vers le héros
romantique, celui qui incarne l’idéal républicain et les vertus nationales.
Puis
il met en place l’attente. Ajourné, pourra-t-il entrer dans l’aviation ?
Il réussit miraculeusement parce qu’il est opiniâtre. La phase initiatique
commence. Il sera élève mécanicien, puis élève pilote. Son parcours doit être
rapide. Mais le doute doit subsister et Guynemer est dépeint comme un pilote à
la réussite improbable malgré l’obtention de son brevet. Affecté en escadrille,
on lui trouve un protecteur, qui l’amène vers sa première victoire. Il devient
le chasseur. Bordeaux, dans cette phase joue avec les banalités aéronautiques,
il s’appuie sur les descriptions que l’on ne peut pas critiquer, mais en
revanche, il joue avec le lecteur sur la miraculeuse métamorphose.
Trois As dans une carlingue |
La
troisième scène, dépeint Guynemer dans la guerre. L’auteur montre le pilote qui
ne laisse rien au hasard, le pilote précis, efficace, calme. Mais il est
indispensable de le transformer en prédateur car il a un devoir de victoires.
Alors Bordeaux diabolise l’ennemi afin de rendre son élimination acceptable.
Guynemer peut alors être l’acteur principal de ce spectacle sanglant. Il doit
rester dans le peloton de tête et doit mener une course aux victoires. Bordeaux
s’appuie sur les caractéristiques déjà avancées : il est courageux et ne rompt
jamais le combat. Il est également présenté comme le chasseur solitaire qui aime
les longues « traques ». Mais Bordeaux en fait également un
technicien aux grandes capacités scientifiques. Il est aussi l’enfant chéri de la France et des poilus, le
héros protecteur qui possède une haute conception du devoir. L’auteur n’oublie
pas d’en faire un vrai chef militaire dont la carrière fulgurante lui permet de
sauter les étapes.
L'As des As |
Dans
la dernière phase l’auteur prépare la disparition. Bordeaux construit un
Guynemer, plus humain qui doute et fait preuve de faiblesses. Il dessine un
héros fragile, fatigué qui compose avec les honneurs, un fardeau difficile à
porter. Il propose une peinture christique. Des changements s’opèrent, le visage
se creuse, il vieillit d’un coup et prend conscience de sa mort prochaine. Le
11 septembre il décolle. Brocard qui se déplace pour l’en empêcher arrive trop
tard. Guynemer ne revient pas de mission. L’attente est insoutenable, sa mort
est impossible. Bordeaux fait durer cette phase afin d’amplifier le mythe. A
cette mort se rajoute la disparition totale du corps et de l’avion comme pour
mieux immortaliser le personnage. L’« ange de la mort » est naît.
Ainsi,
Bordeaux de par sa notoriété, parce qu’il a publié l’ouvrage trois mois après
la mort du héros et pendant la guerre, et surtout parce qu’il s’est avant tout
adressé à la jeunesse, a probablement permis à la fiction de devenir réalité. Toutes
les caractéristiques, toutes les qualités du personnage seront donc des
vérités : son ascendance glorieuse impossible à prouver, sa naissance
annoncée, son enfance révélatrice, cette phase initiatique qui ressemble à une
mise en scène, sa guerre et ses combats, cette préparation au sacrifice, cette
disparition attendue mais impossible. Il sait que le public recherche les
tableaux et les impressions de la guerre chez les romanciers plutôt que chez
les anciens combattants, donc il va s’engouffrer dans cette voie. Jean Norton
Cru l’explique dans son ouvrage Témoins :
cette façon de faire a nui à l’appréciation de cette magnifique floraison
d’impressions personnelles, au profit de toute la littérature des romanciers
civils qui prennent la guerre pour thème et en particulier Bordeaux qui écrit
en civil bien que portant l’uniforme On en est venu à formuler les principes sur
lesquels la tradition est censée établie : toute œuvre d’expression
personnelle ne saurait être qu’œuvre de littérateurs, dégagée de contingences
de dates, de faits précis et surtout de sources primaires donc de preuves
historiques. Il n’y a alors plus de place pour l’histoire et l’analyse
scientifique, pour la preuve. Il est alors impossible de toucher au héros, il
est indestructible. Mais au-delà du héros c’est également son environnement
qu’il est interdit d’approcher c'est-à-dire ici, le monde des pilotes, le monde
de la chasse, le monde des as de l’aviation.
Le trophée après la victoire |
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