Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661,
Salon Air, France
Les difficultés
La place et le rôle que ces femmes pensent avoir tenu
tout au long du conflit.
Lorsque l’on
interroge ces femmes sur le travail qu’elles ont accompli, elles parlent tout
d’abord des qualités humaines de leurs camarades et vantent un grand
professionnalisme. C’est toujours avec la volonté de défendre le rôle qu’elles
ont tenu lors des opérations qu’elles s’expriment. Elles font ressortir les
compétences qu’elles ont déployées tout au long de ce conflit en les comparant
souvent à celles des hommes. Elles font état de ce courage remarquable dont
elles ont fait preuve. Elles parlent de cran extraordinaire qui les rendait
plus aptes que les hommes à mener certaines actions[1].
Elles soulignent l’esprit de dévouement et d’idéal qui les animait et qui les
rendait plus travailleuses, plus résistantes que leurs collègues masculins. La
camaraderie est également une qualité importante qu’elles soulignent, en
mentionnant qu’il n’y avait aucune mesquinerie et qu’à l’inverse des hommes, il
n’existait pas, chez elles, de compétition[2].
Elles parlent d’une ambiance qu’elles n’ont jamais rencontrée ailleurs, d’un
esprit d’équipe excellent parce qu’il y avait une « égalité sous l’uniforme ».
Lorsqu’elles abordent l’importance de leur rôle[3], elles rappellent, tout d’abord, qu’elles étaient certes destinées à remplacer les hommes, mais qu’elles n’étaient pas des supplétives et que, sur le terrain et dans l’action, elles ont tenu une place primordiale. Elles mentionnent, que si elles ont fait « aussi bien et peut-être mieux que les hommes » c’est parce qu’elles voulaient être présentes dans la guerre pour mettre à bas tous les préjugés masculins. Il n’était donc : « pas question de manifester un quelconque mécontentement puisqu’il ne fallait surtout pas contenter les hommes ».
L’intégration c’est aussi le
contact difficile avec les hommes qui va parfois de l’ignorance à la suspicion et au mépris.
Ces femmes
sont d’abord affectées par la méfiance, l’ignorance et l’incorrection des
hommes. Les difficultés et les mesquineries rencontrées à cette époque, pèsent
d’autant plus dans leur discours qu’elles savaient que ces problèmes allaient
se poser mais elles s’attendaient à des efforts de compréhension plus soutenus
de la part de leurs collègues masculins. Elles utilisent des termes forts pour
qualifier la qualité de leur relation comme : la jalousie, la froideur, la
bêtise. Elles parlent de rapports de force, de combat de tous les jours.
Elles sont
également révoltées par certaines paroles, certains propos. Elles sont
surprises, par exemple, de constater que leurs collègues leur dénient le sens
de la camaraderie[4]. Enfin, elles sont très
critiques vis-à-vis d’une certaine hypocrisie qui consiste de la part de
l’institution, à ne pas vouloir admettre la présence des femmes dans l’armée et
à ne surtout pas l’avouer[5]. C’est
de l’ensemble des personnels dont elles parlent, mais cependant elles
mentionnent que les réticences étaient plus marquées chez les officiers.
C’est cette
non considération, cette non acceptation de la part de tous les personnels qui
les poussent à accentuer, pour certaines, leur féminité et, pour d’autres, à
repenser leur façon d’être et à se masculiniser[6].
Ce sont des
remarques explicites comme : « Vous
êtes une femme, vous ne savez pas ce qu’est la guerre. » qui les
poussent à se battre[7].
Elles sont pour la plupart fatiguées de devoir constamment justifier leur rôle.
Ces
volontaires ne sont pas acceptées en tant que femmes et encore moins en tant
qu’officiers[8], en tant que militaires
détenteurs d’un commandement. Une femme officier d’encadrement doit avoir du
tact, lorsqu’elle donne des ordres. L’une d’elles témoigne et résume ce type de
relation hiérarchique : « A
partir du moment où une femme a un certain grade, il faut un peu de diplomatie
parce que vous ne ferez jamais admettre à un homme que vous êtes son chef de
service. J’avais plusieurs sous-officiers masculins et des adjudants-chefs
chevronnés, c’était compliqué. Je savais que tout cela leur était très pénible,
pourtant j’étais capitaine et eux adjudants-chefs, mais ils ne l’admettaient
pas. ».
Un petit
nombre estime n’avoir jamais eu de problème avec les hommes, qu’ils ont accepté
leur position, que c’étaient de très bons camarades et qu’il n’y avait aucune
ambiguïté dans les relations. Mais ces quelques femmes mentionnent cependant
qu’elles travaillaient uniquement au contact des infirmiers, des médecins ou
des équipages. Cela peut s’expliquer par le fait que leur position était basée
sur le modèle médecin-infirmière, modèle conçu sur la relation conjugale
traditionnelle.
Les contacts
avec leurs collègues n’étaient pas toujours conflictuels et passaient
inévitablement par une phase d’approche plus intéressée. Il était donc
indispensable d’avoir l’esprit large et surtout de supporter le regard et les
propos des hommes empreints de sous-entendus[9] :
« La fierté féminine est confrontée
à un jeu très particulier de la part des hommes et nous étions donc obligées
d’être rigides et sévères, c’était obligatoire. ». Rigides parce que
ces hommes qui papillonnaient regardaient plutôt leurs jambes que leurs qualités ;
sévères, parce que ces femmes étaient considérées comme des
« récompenses » pour les guerriers. Ainsi, ce qui les a profondément
marqué durant leur engagement, c’est la manière de procéder de certains
militaires et notamment ces obligations d’aller au bal, de participer aux
amusements avec les hommes, parce que c’était bon pour le moral des troupes.
Mais aussi, paradoxalement, ce qui les a choqué, c’est cet encadrement rigide
perçu comme du paternalisme déplacé et surtout ce manque de confiance (toujours
chaperonnées et suivies par l’aumônier). Donc, ces femmes étaient à la fois
considérées comme des « offrandes » et des personnels dangereux
susceptibles de « salir la tenue »
qu’il fallait surveiller et encadrer[10].
Afin de
clôturer et de résumer cette partie, il est essentiel de parler des impressions
recueillies sur les deux débarquements qu’elles ont effectués en Corse et en
Provence. Pour le premier, parce que les américains et les anglais
n’embarquaient jamais les troupes féminines, seuls les hommes et les bagages
sont partis. Elles ont donc pris l’avion pour débarquer à Ajaccio. Elles ont
éprouvé alors un sentiment de mise à l’écart très désagréable. En revanche,
elles ont débarqué sur la plage de Saint-Raphaël avec les Liberty-ship. La
traversée s’est passée dans les cales verrouillées des bateaux car les hommes
étaient terriblement excités et voulaient défoncer les portes. Les officiers en
assuraient la garde et la protection. Ces épisodes résument la méfiance, la
peur et les débordements provoqués par la présence de ces femmes[11].
Dans cette difficile intégration il y a aussi la part de
la mauvaise réputation, de cette image qui colle historiquement à la femme
militaire
Une des
difficultés majeures pour ces femmes a été de supporter le jugement négatif de
leurs collègues masculins. En effet, on estime à cette époque, qu’une femme
soignante qui porte l’uniforme est une femme à soldats[12], un
élément qui, s’il n’est pas strictement encadré, va perturber la bonne marche
de la section. En un mot, tout cela n’est pas convenable et va à l’encontre des
principes de moralité qui sont à l’origine de la société militaire[13].
Lorsqu’elles s’engagent, elles savent qu’elles ne seront acceptées ni par les
hommes, ni par les femmes, ce qui va donc les inciter à être vigilantes[14].
Elles doivent donc effacer tout ce qui est susceptible de charmer et de séduire[15].
Ces femmes ont
également été obligées de supporter une certaine animosité, un certain mépris
de la part de la population, d’où un sentiment pénible de double rejet[16].
Lorsqu’elles parlent des débarquements, lorsqu’elles relatent les contacts
qu’elles ont eu avec les différentes populations rencontrées, elles utilisent
les expressions suivantes : population désagréable, accueil froid,
remarques injurieuses, mépris total.
Mais, si elles
regrettent les jugements de certaines personnes, c’est surtout une mentalité,
une ambiance, un système idéologique qu’elles critiquent. Leur position était
donc inconfortable : très mal acceptées par les militaires, très mal vues
par la société et oubliées par l’institution.
En ce qui
concerne le commandement direct masculin, les propos sont nuancés. La plupart
estime que les rapports au travail sont différents avec les subalternes et avec
les officiers. Les contacts avec ces derniers sont moins difficiles parce
qu’ils sont plus courtois. Mais, en revanche, l’incompréhension est la même
lorsqu’ils assument leur rôle de chef militaire. Ils sont désespérés par le
fait de devoir commander à des femmes, probablement parce que cette fonction leur
semble dévalorisante. Certains n’hésitent pas à donner intentionnellement des
consignes difficiles à exécuter dans le but d’éprouver ces personnels. Elles
obéissent donc car il n’est pas question qu’elles fassent plaisir à ces hommes
qui pratiquent un jeu malsain afin de les tester et de les provoquer. Ce n’est
donc plus d’ignorance ou de mépris dont elles parlent, c’est de rapport de
force.
Pour les hommes, elles
représentent encore la séductrice, la tentatrice, celle qui provoque et le fait
toujours dans le but de nuire.
SOURCES ORALES
SHD/DITEEX Interview n° 86 : Mme Lilia DE VANDEUVRE
SHD/DITEEX Interview n° 134 : Mme Ida ROSSI-GENTY
SHD/DITEEX Interview n° 190 : Mme Anne-Marie IMBRECQ
SHD/DITEEX Interview n° 221 : Mme Jacqueline DELACHAUX
née PELLETIER-D’OISY
SHD/DITEEX
Interview n° 243 : Mme Georgette Feral
SHD/DITEEX Interview n° 269 : Mme Germaine VINCIGUERRA
SHD/DITEEX Interview n° 270 : Mme Renée PICOT-ROCHARD
SHD/DITEEX Interview n° 291 : Mme Lucienne ORTOLI
SHD/DITEEX Interview n° 294 : Mme Nelly LAINVILLE (Madame
LEMAIRE)
SHD/DITEEX Interview n° 297 : Mme Germaine GINER
SHD/DITEEX Interview n° 298 : Mme Madeleine PERIGAULT
SHD/DITEEX Interview n° 302 : Mme Monique DELAMAIN-GIRAUD
SHD/DITEEX Interview n° 306 : Mme Josiane MATHERON-CLAUSSE
SHD/DITEEX Interview n° 312 : Mme Suzanne CASTELET épouse
CHABERT
SHD/DITEEX Interview n° 312 : Mme Brigitte FUMAROLI
SHD/DITEEX Interview n° 363 : Mme Germaine
L’HERBIER-MONTAGNON
SHD/DITEEX Interview n° 382 : Mme Colette PROST-SCHOLLE
SHD/DITEEX Interview n° 402 : Mme Monique MARESCOT DU
THILLEUL
SHD/DITEEX Interview n° 415 : Mme Yvonne LE MENAGER
SHD/DITEEX Interview n° 567 : Mme Nicole VINCENT-LOUIS
SHD/DITEEX Interview n°
657 : Mme Aliette FLANDIN-CASSE
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[1] GUIDEZ Guylaine, Femmes dans la guerre 39-45, Perrin,
Paris, p. 141.
[2] FRIANG Brigitte, Regarde-toi qui meurs, une femme dans la
guerre, Robert Laffont, Paris, 1972, p. 42.
[3] GUIDEZ Guylaine, Femmes dans la guerre 39-45, Perrin,
Paris, p. 128.
[4] D’ASSAILLY Gisèle, S.S.A.,
Journal d’une conductrice de la Section Sanitaire
Automobile, René Julliard, Paris, 1945, p. 53.
[5] JEAN-DARROUY Lucienne, Les Françaises dans la guerre, Vie et mort
de Denise Ferrier, Georges Dinesco, Alger, 1945, p. 28.
[6] CAPDEVILA Luc, La mobilisation des femmes dans la France combattante
(1940-1945), CLIO, n° 12/2000, Le genre de la nation, p. 6.
[7] BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Seuil, Paris,
1998, p. 14.
[8] BUROT-BESSON Isabelle,
CHELLIG Nadia, Les enjeux de la
féminisation du corps des médecins des armées, Les Documents du C2SD,
Paris, 2001, n° 41, p. 32.
[9] GUIDEZ Guylaine, Femmes dans la guerre 39-45, Perrin,
Paris, p. 127.
[10] CAIRE Raymond, Les femmes militaires des origines à nos
jours, Les Editions Lavauzelle, Paris-Limoges, 1981, p. 122.
[11] SORIN Katia, Femmes en armes, une place
introuvable ?, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 38.
[12] BUROT-BESSON Isabelle,
CHELLIG Nadia, Les enjeux de la
féminisation du corps des médecins des armées, Les Documents du C2SD,
Paris, 2001, n° 41, p. 20.
[13] SORIN Katia, Femmes en armes, une place introuvable ?,
L’Harmattan, Paris, 2003, p. 11.
[14] JEAN-DARROUY Lucienne, Les Françaises dans la guerre, Vie et mort
de Denise Ferrier, Georges Dinesco, Alger, 1945, p. 65.
[15] SORIN Katia, Femmes en armes, une place
introuvable ?, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 39.
[16] D’ASSAILLY Gisèle,
S.S.A., Journal d’une conductrice de la Section Sanitaire
Automobile, René Julliard, Paris, 1945, p. 236.
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