Les
anciens élèves ont la parole :
la
promotion 1944 AFN « Lieutenant Charles De Tedesco »
Christian
BRUN, Guillaume MULLER, Yousra OUIZZANE
Centre
de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air,
France
Pendant que la promotion 1943 AFN « transpire des ailes »,
aux USA, deux classes préparatoires au concours de l’École de l’air sont mises
en place : la première à Miliana près d’Alger, la seconde à Casablanca au
Maroc. Après une sélection portant sur 300 candidats, 24 sont admis pour
intégration dans la nouvelle promotion. Comme
pour la précédente, le voyage en train jusqu’à Marrakech est le passage obligé
pour tous ces futurs « poussins » et il se fait également dans des conditions
spartiates. Les élèves, entassés dans des wagons à bestiaux, couchent sur le
plancher à claires-voies avec tout leur paquetage. Ils sont accompagnés de
légionnaires. De nombreux arrêts scandent le voyage et cassent la monotonie et
la lenteur d’une machine qui a beaucoup de mal à tirer ses wagons. Pendant
trois jours ces drôles de voyageurs visitent la plaine de Chélif, la Mitidja,
la plaine d’Oujda, et arrivent enfin à la frontière marocaine. El Aïoun,
Taourirt, Guercif, autant de « capitales » qui sont alors traversées en terre
chérifienne. Pendant ce voyage, les futurs élèves tuent le temps, en discutant
et en échangeant avec la population locale ou en achetant quelques produits de
bouche. La suite du voyage jusqu’à l’École est très calme et sans incident.
Entraînement au tir à la mitrailleuse photo sur Morane-Saulnier |
Le
dernier tronçon jusqu’à Marrakech est effectué en train dans une vraie voiture,
en troisième classe, sous la responsabilité du sergent-chef Rateau, ancien
commando parachutiste spécialement venu de Casablanca et qui passera adjudant
quelques temps plus tard. Rassemblée en « détachement d’élèves-officiers », la
promotion fait donc son entrée au « Piège » le 24 juillet 1944. Le lieutenant
Le Mouroux, un des deux brigadiers, issu de la promotion 1937, attend les
jeunes recrues pour leur souhaiter la bienvenue en langage militaire. Le temps
d’adaptation est court. Les élèves prennent possession des chambres, des
douches et découvrent le mess en l’espace de quelques heures. Afin de les
occuper, le commandement a la bonne idée de leur faire visiter la base et
surtout leur donne l’autorisation d’approcher les avions qui sont en bout de
piste.
Les
élèves ravis découvrent les C-47 Dakota, les C-46 Commando, les Fortress B-17,
les Lightning P-38 et les Mustang P-51, c’est-à-dire l’Amérique et toutes ses
splendeurs. Mais, après la découverte de tous ces trésors, ce sera également,
pour les futurs élèves pilotes, le premier contact avec la police militaire
américaine qui, sans ménagement, les fait monter (17 poussins) dans la Jeep ou
plutôt sur la Jeep pour les amener au poste et les entasser derrière les
barreaux d’une prison improvisée. Ils sont délivrés par un officier français et
le service de semaine et sont ramenés dans leurs pénates au pas cadencé, sous
le soleil. Inutile de mentionner que la réception n’est pas des plus courtoises
et que l’amabilité du brigadier constatée à l’arrivée a alors complètement
disparu !
Pour
explication, l’autorisation d’approcher les avions ne vaut que pour les
quelques A-24 et Cessna qui avaient très mal vieilli et certainement pas les
avions américains destinés à décoller pour assurer les opérations de guerre. Le
25 juillet, les élèves sont présentés au commandant Bézy, commandant de l’École,
que certains connaissent déjà pour l’avoir croisé à Madrid où il était chargé
du recueil et de la mise en route des évadés de France. C’est un homme affable
et plein de bienveillance qui, après le départ de la promotion 1944 AFN, va
rapatrier l’École à Bouffémont dans le Val d’Oise. Puis c’est l’arrivée d’un nouveau
brigadier, le capitaine Manfroy de la promotion 1936 et celle d’un nouveau commandant
en second, le capitaine Bouton de la promotion 1935.
L’encadrement
est maintenant au complet et les festivités militaires peuvent alors commencer.
Ce programme n’est pas différent de celui qu’ont connu leurs aînés. Tout d’abord,
les élèves sont équipés, ensuite une période de classes est prévue dans un camp
de montagne, puis ils passeront par le Centre d’instruction de l’école
militaire pour y apprendre l’aéronautique et enfin les personnels navigants
passeront leur brevet de navigateur-bombardier avant de partir pour les USA.
Le
jour du départ pour le camp de montagne arrive. Les élèves sont rassemblés avec
armes et paquetage au complet. L’embarquement pour Asni se fait dans des
camions. La piste d’accès est caillouteuse et quasiment impraticable. Après un
gué un peu boueux, Ahroun apparaît enfin. Les élèves logent sous la tente et en
brigade. Pendant les six semaines du séjour, ils sont formés à l’école du
fantassin. Tirs à blanc, tirs réels, tirs au mortier, marches dans le djebel,
montage et démontage des armes, sont les tâches quotidiennes de la promotion.
Les
souvenirs les plus marquants sont, sans aucun doute, les courses en montagne,
où parfois pendant 8 heures les élèves grimpent les pentes avec, bien évidemment,
tout le barda sur le dos. L’ultime épreuve est le Toubkal qui, du haut de ses
4165 mètres, regarde les poussins de la plus petite et de la plus atypique
promotion du « Piège » crapahuter pour aller recueillir les galons de la
gloire.
L’avant-dernière
semaine du séjour est marquée par un orage terrible. L’oued grossit et emporte
tout sur son passage. Lorsque les élèves, effrayés par le bruit, regardent en
contrebas, le gué a disparu. A la place se trouve à présent un torrent de boue
et de rochers. C’est ainsi que les poussins vont attendre des temps plus cléments
dans le froid et l’humidité. Lorsque l’oued retrouve son lit, ils peuvent alors
redescendre et retrouver l’École où les attendent des repas chauds et, bien évidemment,
un lit bien sec. En guise de récompense pour tous les exploits accomplis
pendant cette odyssée, le commandement octroie alors un quartier libre. Les
élèves en profitent pour se rendre à la célèbre Jemaa El Fna où se trouve un
centre actif de ravitaillement. Certains se rendent également au centre de
Guéliz tout près du camp Mangin pour acheter tout ce qui paraît, à cette
époque, nécessaire et vital à un élève de 20 ans. Peu à peu, ces quartiers
libres permettent aux « poussins » d’étendre leur champ de sortie jusqu’à La Mamounia
pour déguster un porto, lorsque l’état de leur finance le leur permet.
Peu
après le périple d’Arhoun, les résultats de l’examen de fin de peloton sont annoncés.
Des grades récompensent les efforts, mais le commandement n’est pas vraiment
généreux. Ainsi, un seul est nommé sergent et quatre ou cinq sont promus caporaux.
Enfin,
l’enseignement aéronautique commence et les élèves rejoignent le Centre d’instruction pour apprendre les bases du métier.
Ils sont présentés au commandant des Écoles,
le colonel Dartois, qui avait commandé « le Piège », et au capitaine Le
Goaster, qui commande la Division d’instruction
en vol (DIV).
Les cours au sol
commencent donc en septembre, cours pendant lesquels les élèves approfondissent des matières comme l’orthodromie, la
loxodromie, le point astro, les vitesses, la
simulation, le bombardement, la géométrie et
autres disciplines toutes aussi théoriques les unes que les autres. Ces temps studieux s’écoulent au rythme des amphis, des tours de consigne, des rapports, des rassemblements et des quartiers libres. Et puis, vers la fin octobre, les premiers arrivants de la promotion 1942 (Tricaud) se présentent. Ces derniers estiment alors détenir le droit de paternité, c’est-à-dire le droit de transmettre les
traditions à l’ensemble de la promotion et c’est
ce qu’ils font.
Comme si cela ne
suffisait pas, la promotion 1944 AFN voit
aussi arriver une horde de pompiers-fusiliers habillés en bleu. Ce sont ceux de la 1943 France qui eux aussi
revendiquent le droit d’éduquer les « poussins ». Ainsi, cette deuxième
promotion Afrique du Nord est donc
parfaitement encadrée par ses aînés pour commencer l’incontournable « bahutage
». Inutile de mentionner que ce passage
obligatoire a semblé très long et très pénible à l’ensemble des poussins, même
si l’esprit de cohésion était déjà bien
présent.
Enfin la période
des vols commence. Mais les effectifs ayant gonflé du fait de l’arrivée des «
anciens », il faut se partager les séances, ce
qui bien évidemment frustre bon nombre de « poussins » de la promotion 1944
AFN. Cette situation s’améliore lorsque ceux
de la promotion 1942, le 28 novembre, se mettent en route pour Casablanca afin
de rejoindre le fameux Centre de préparation du personnel navigant (CPPN),
antichambre du CFPNA situé aux États-Unis.
Pour les « poussins », c’est la tranquillité retrouvée
et l’assurance de pouvoir voler plus facilement. à
la même époque, les élèves sont convoqués pour parler de leur avenir avec le
commandement. Pour les huit élèves pilotes,
les choses sont claires : ils seront dirigés vers les États-Unis. Sur les seize restants, trois seront des futurs officiers
mécaniciens et treize, beaucoup moins motivés, seront
mutés dans divers pelotons d’officiers de réserve, pour ensuite, soit
poursuivre des préparations à d’autres grandes
écoles, soit être démobilisés, soit continuer leurs études dans les universités comme Paris ou encore Alger. Ainsi, la promotion se disloque et, en décembre
1944, les élèves de la promotion ne sont plus que
huit à poursuivre les cours et les vols d’apprentissage à Marrakech.
Pendant tout le
mois de décembre les huit rescapés volent sur
Cessna C-78 et sur Wellington. Ils tiennent tour à tour la place de navigateur-plotteur, de navigateur-observateur
et de navigateur-secrétaire. Les trajets sont
toujours les mêmes : Marrakech-Settat-Berrechid-Marrakech, ou
Marrakech-Safi-Mogador-Marrakech. Le terrain
attitré est celui de Sidi Zouine, qui est un terrain auxiliaire. Les élèves en sont pratiquement à 40 heures de vol
lorsqu’un ordre de mouvement pour Agadir
survient au mois de décembre : ils doivent
effectuer le stage de mitrailleur. Ainsi, au
début du mois de janvier 1945, ils vont effectuer un stage
de tir aérien. Ils voyagent en car de Marrakech à Agadir. Ce trajet leur laisse le souvenir impérissable d’un
pique-nique constitué de rations distribuées
sous les remparts de Mogador (Essaouira).
L’ambiance est
au rendez-vous à Agadir. Ceci est principalement dû
au fait que les élèves profitent de leur séjour pour effectuer, sur place, des vols quotidiens tant attendus. Le moral
est alors au beau fixe, et ils ont enfin l’impression
d’appartenir à la grande famille de l’Armée de
l’Air. Les élèves sont aussi formés au tir à
la mitrailleuse photo sur des Morane-Saulnier
315. Ils sont positionnés en place arrière et simulent alors des tirs sur un autre avion considéré comme « ennemi ». Pour eux, cet
exercice, qui leur permet de sortir des salles
de cours, est considéré alors comme un apprentissage, certes opérationnel, mais en somme « amusant ». Ces manœuvres s’effectuent également sur des avions de type Wellington ou éventuellement plus légers, qui remorquent des cibles dans lesquelles il ne faut surtout pas faire de trous (celui qui fait un trou paye alors l’apéritif). Les souvenir des vols sur
Wellington ne manquent pas, notamment à cause de la tourelle arrière. En effet,
une douche de liquide hydraulique sur la
combinaison des élèves n’est pas rare, ce qui, bien évidemment, a pour effet
immédiat les moqueries de l’ensemble des camarades. Un autre souvenir d’Agadir reste gravé dans la
mémoire de ces élèves apprentis pilotes. Le lieutenant Le Mouroux a pour « coutume » d’offrir aux « poussins » de nouvelles
expériences aéronautiques. Lorsqu’il pilote, il a la fâcheuse habitude, au moment propice, de piquer puis de redresser pour
coller le passager au siège et effectue ensuite une superbe « visée » en rase motte sur le désert. Ces images marquent les jeunes
hommes qui, bien évidemment, sont plus que surpris sur le moment, mais cette expérience alimente ensuite leur
émerveillement sur les techniques de vol.
Autre évènement
significatif, pendant cette période, c’est la peur de
la population provoquée par les exercices des « poussins ». Une nuit, à
Agadir, les élèves doivent effectuer une séance de tir. Dès le début des
hostilités, la manœuvre déclenche alors une panique en ville : les habitants
pensant à un débarquement allemand. Cette « peur dans la cité » a bien évidemment beaucoup amusé les « fauteurs de
trouble ». Cette dizaine de jours à Agadir se finit sur une note festive.
Une panne sur le
chemin du retour du coté de Sidi-Zouin permet alors d’entretenir quelques
contacts avec la population, contacts qui ne sont pas pour déplaire aux élèves
et aux cadres. En effet, pendant que le forgeron local aide à la réparation du
véhicule, les « poussins » sont invités dans le village pour se voir servir un
rafraîchissement et quelques collations près de la résidence de l’administrateur
de la ville. Dès le retour d’Agadir, des examens de tous types s’accumulent,
écrits et oraux, les élèves sont alors sous pression car personne n’est assuré
d’être reçu. Après les oraux, qui se déroulent sous forme de « colles » dans
une grande pièce, face à un examinateur impressionnant, c’est le passage devant
le « patron », le commandant Bézy. Pour la promotion 1944 AFN, tout s’est
parfaitement déroulé et tout le monde a obtenu le droit de poursuivre sa
formation de pilote.
Puis le baptême
de la promotion arrive. Il se déroule en même temps que celui de la promotion
1943 France (promotion René Pomier Layrargues). Les huit qui composent la «
Charles de Tedesco » se sentent alors un peu perdus à côté de la quarantaine d’élèves
de la « Pomier ». Mais, pour les « poussins », les pensées vont, à cet instant,
vers les trois camarades mécaniciens qui ne pourront pas participer à la fête
et qui seront donc baptisés par contumace. Bien évidemment, ce baptême conjoint
s’est terminé à La Mamounia où les « officiers » ont festoyé tard dans la nuit.
Le 1er février,
le commandement distribue les certificats provisoires qui autorisent les élèves
à porter enfin les galons d’aspirant. Puis, 4 jours plus tard, c’est le départ
pour Casablanca où les « apprentis pilotes » vont rejoindre le Centre de
préparation du personnel navigant. Pour certains, c’est une sorte de retour aux
sources puisqu’ils retrouvent le camp Cazes et le colonel Bouyer qui commande
le CPPN.
Le séjour ne
durera qu’une petite semaine pendant laquelle toutes les formalités
administratives sont accomplies et notamment la distribution des passeports
avec visa américain. Le 12 février 1945, les rescapés de la « de Tedesco »,
embarquent pour les États-Unis, sur le Liberty Ship William B. Giles, sous la
responsabilité du capitaine Constant Albert. Ils rejoignent le Centre de
formation des personnels navigants formés en Amérique. Ainsi s’achève, avec
cette promotion, l’histoire du Piège marocain qui n’aura duré que 18 mois, mais
qui, 70 ans après, reste toujours présente dans les esprits.
Les aviateurs-pompiers de la promotion 1943 France |
Bivouac au refuge de Neltner (3100 m) |
J'habitais Marrakech ces années là, et je me souviens très bien de l'arrivée de ces jeunes pilotes qui mettaient de la vie au Guéliz et ou les jeunes filles les retrouvaient le soir pour danser a la Mamounia- mais gare aux M.P. qui ne craignaient pas d'user de leur matraque s'il fallait intervenir...
RépondreSupprimerMerci pour ce témoignage et pour cette plongée dans l'histoire de l'Armée de l'air.
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