Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661,
Salon Air, France
Un message pour
toutes les femmes volontaires
Ces femmes, 40 ans après restent partagées entre la
déception et la fierté.
Il y a beaucoup d’amertume, d’écœurement et parfois de
colère dans les propos de ces femmes lorsqu’elles expliquent la sortie du
conflit et les différentes politiques menées sur leur statut[1].
Elles s’expriment toujours très franchement, avec honnêteté. Elles parlent
d’espoirs déçus[2], d’utilisation abusive, de
marques de mépris et d’oubli[3]. Si
elles gardent d’excellents souvenirs du travail effectué, elles sont déçues par
les prises de décision qui ont marquées cette période[4].
Déçues tout d’abord par le « semblant de statut » qui leur a été
proposé. Déçues également par le système d’avancement et de promotion mis en
place à partir de la fin du conflit[5].
Déçues ensuite parce qu’ayant les mêmes droits et les mêmes obligations que les
hommes elles n’avaient pas la même solde[6].
Déçues enfin et surtout par le manque de reconnaissance et les injustices
constatées lors de l’attribution des médailles[7].
Elles parlent souvent dela
Croix de guerre, décoration qui, pour elles, résume le mieux
leur engagement dans ce conflit. Elles font également remarquer que lors de
leur engagement, elles ne savaient pas ce qu’était une décoration, mais elles
ont vite compris, tout au long de leurs expériences, que cette marque de
reconnaissance extérieure pouvait leur permettre d’être valorisées et d’exister
au sein de l’institution. Mais elles sont toutes unanimes pour dire qu’elles se
considèrent comme des pionnières. Pour elles, leur passage a permis entre autre,
une avancée sociale, une reconnaissance au sein des armées, puisque « les hommes se sont fait à l’idée de nous
avoir à côté d’eux ». Elles expliquent que leur engagement a permis de
clarifier les choses et a aidé à rendre la vie plus facile à celles qui
allaient prendre la relève.
Elles parlent souvent de
L’évolution du statut : 35 ans de régression et de
stagnation
Nous avons essayé de faire ressortir les mesures prises par
les armées entre 1945 et la fin des années 70 dans le but de comprendre
pourquoi certains personnels féminins interviewées se sont senties injustement
traitées et non reconnues par l’institution. Les quelques idées qui vont suivre
sont toutes tirées des textes officiels à l’origine de la mise en place des
statuts concernant l’engagement du personnel féminin et permettent de confirmer
les propos des témoins.
Le statut de 1942, montre cette volonté de la part de
l’institution de ne pas « militariser » le corps des volontaires
féminines. Il n’est pas question « d’assimiler » les femmes. A
l’issue du conflit, l’armée donne l’impression de vouloir se débarrasser de ce
personnel encombrant. Ainsi, la réduction des effectifs va toucher
significativement ces volontaires. Dans la même
veine, et dans le but de stériliser le corps des personnels féminins, la spécialité
encadrement est supprimée puisque « l’armée ne veut que du personnel
d’exécution ». En 1945, les effectifs totaux se résument à 500 femmes dans
l’Armée de l’air, 500 femmes qui vont rester sans statut officiel pendant 6
ans. Lorsque l’on met en place celui de 1951, on le fait avec la volonté de
pouvoir maîtriser la carrière de ces personnels. Tout d’abord c’est un statut
hybride qui confirme l’élimination des responsabilités, ensuite il va permettre
« d’étouffer » toute volonté de progression dans la carrière en
instaurant un grade maximum (commandant). Il spécifie également que « les
femmes n’ont pas d’autorité hiérarchique sur les hommes et ne peuvent donc
commander qu’à des femmes ». Le renouvellement de contrat doit désormais
se faire devant une commission donc, il y a précarité du statut. Le système est
restrictif et autobloquant et entraîne un attrait très limité pour la carrière.
Les échelles de solde sont très difficiles à atteindre et au final les femmes
mettent deux fois plus de temps que les hommes pour avancer. Enfin, dans le but
de singulariser ce corps, l’appellation des grades ne correspond plus au
système militaire mais au système de la fonction publique avec des
assimilations.
Quelques
améliorations vont apparaître en 1965, sans que cela soit significatif. On peut
parler de mesures artisanales, de système D, afin que certaines injustices
puissent être gommées. Ainsi, certains postes de sous-officiers masculins sont
gagés afin de les donner à des femmes. Mais tout cela reste des volontés individuelles
et les effets sont minimes. Le reste ne change pas.
A partir de 1968 il y a des mesures de rattrapage, les
échelles de solde changent, mais il reste quelques ombres au tableau notamment
en ce qui concerne les renouvellements des contrats toujours aussi draconiens.
Il y a aussi une volonté de ne pas toucher à la limite d’âge puisque cela
permet d’engendrer des blocages dans les carrières.
Le statut de 1972, est mis en place « à la
sauvette ». On en profite pour dégager certains cadres. Il y a, certes,
assimilation, mais rien ne change sur le déroulement de carrière. Tout est géré
avec la règle des pourcentages par spécialité et la règle des décrets par
armée.
Donc, en 35 ans, c’est réellement une volonté de ne pas
intégrer les femmes, de ne pas leur donner de responsabilités, de les limiter à
certains grades, de pouvoir gérer leur carrière grâce à une main mise totale
sur la progression.
60 ans après : toujours les mêmes perceptions et les
mêmes déceptions
Après analyses des propos recueillis dans les dernières
études sur le personnel féminin[8], nous
en sommes arrivés aux conclusions suivantes :
Les motivations à l’engagement sont identiques 60 ans après
et sont liés à une forte tradition familiale, une connaissance du milieu, une
idéalisation de l’image du père, une envie très forte de prendre la relève. Il
y a aussi ce besoin de s’affranchir de la tutelle familiale, cette volonté de
rompre avec la routine, de s’évader tout en travaillant dans un milieu
sécurisant. Elles ont aussi le sentiment d’être ou d’avoir été des pionnières,
d’avoir essuyé les plâtres.
Elles s’offusquent également lorsqu’elles parlent de cette
camaraderie qui ne peut caractériser que les hommes. Elles affirment qu’ils
véhiculent sciemment l’idée que les femmes sont individualistes.
Les problèmes liés à la séduction, à la tenue, à ce jeu des
identités masculines et féminines auquel il faut constamment faire attention,
sont toujours autant envahissants. D’où ces difficultés de rester femmes et
d’adhérer aux valeurs masculines d’où ces préjugés, certes plus voilés mais qui
perdurent, à savoir, la femme dans les armées n’est-elle pas une femme dépravée
et immorale ?
Elles perçoivent les mêmes difficultés lorsqu’il faut
commander à des hommes ou lorsqu’il faut être commandée par des hommes. Elles
expliquent qu’être officier, c’est entrer directement dans le monde viril du
commandement. Le pouvoir et l’autorité se déclinent toujours au masculin.
Elles n’ont toujours pas le droit à l’erreur, car elles
savent « qu’elles vont être jugées ». Elles doivent gagner leur
place, avoir un comportement exemplaire pour être estimées. Si l’une d’entre
elles arrive à « passer entre les mailles du filet » elle sera
qualifiée d’exceptionnelle afin de bien montrer qu’elle doit rester l’exception.
Elles s’estiment également moins carriéristes que les
hommes et comme en 1945, elles sont prêtes à mettre cette carrière entre
parenthèses pour les besoins de la famille. Ici c’est le sentiment de
culpabilité qui domine parce que la société leur rappelle toujours que le
travail des femmes n’est pas prioritaire, retourner au foyer est donc un retour
naturel ; elles sont là à titre de renfort.
Enfin, les frustrations portant sur la non reconnaissance
des sacrifices, l’avancement et l’attribution des médailles sont identiques.
La perception n’a donc pas significativement changé et
pourtant 60 années séparent ces deux populations.
SOURCES ORALES
SHD/DITEEX Interview n° 86 : Mme Lilia DE VANDEUVRE
SHD/DITEEX Interview n° 134 : Mme Ida ROSSI-GENTY
SHD/DITEEX Interview n° 190 : Mme Anne-Marie IMBRECQ
SHD/DITEEX Interview n° 221 : Mme Jacqueline DELACHAUX
née PELLETIER-D’OISY
SHD/DITEEX
Interview n° 243 : Mme Georgette Feral
SHD/DITEEX Interview n° 269 : Mme Germaine VINCIGUERRA
SHD/DITEEX Interview n° 270 : Mme Renée PICOT-ROCHARD
SHD/DITEEX Interview n° 291 : Mme Lucienne ORTOLI
SHD/DITEEX Interview n° 294 : Mme Nelly LAINVILLE (Madame
LEMAIRE)
SHD/DITEEX Interview n° 297 : Mme Germaine GINER
SHD/DITEEX Interview n° 298 : Mme Madeleine PERIGAULT
SHD/DITEEX Interview n° 302 : Mme Monique DELAMAIN-GIRAUD
SHD/DITEEX Interview n° 306 : Mme Josiane MATHERON-CLAUSSE
SHD/DITEEX Interview n° 312 : Mme Suzanne CASTELET épouse
CHABERT
SHD/DITEEX Interview n° 312 : Mme Brigitte FUMAROLI
SHD/DITEEX Interview n° 363 : Mme Germaine
L’HERBIER-MONTAGNON
SHD/DITEEX Interview n° 382 : Mme Colette PROST-SCHOLLE
SHD/DITEEX Interview n° 402 : Mme Monique MARESCOT DU
THILLEUL
SHD/DITEEX Interview n° 415 : Mme Yvonne LE MENAGER
SHD/DITEEX Interview n° 567 : Mme Nicole VINCENT-LOUIS
SHD/DITEEX
Interview n° 657 : Mme Aliette FLANDIN-CASSE
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[1] CAPDEVILA Luc, La mobilisation des femmes dans la France combattante
(1940-1945), CLIO, n° 12/2000, Le genre de la nation, p. 8.
[2] PERROT Michèle, Les femmes ou les silences de l’histoire,
Paris, Flammarion, 1998, p. 368.
[3] CAPDEVILA Luc, La mobilisation des femmes dans la France combattante
(1940-1945), CLIO, n° 12/2000, Le genre de la nation, p. 4.
[4] CAIRE Raymond, Les femmes militaires des origines à nos
jours, Les Editions Lavauzelle, Paris-Limoges, 1981, p. 123.
[5] SORIN Katia, Femmes en armes, une place
introuvable ?, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 41.
[6] CAIRE Raymond, Les femmes militaires des origines à nos
jours, Les Editions Lavauzelle, Paris-Limoges, 1981, p. 77.
[7] BUROT-BESSON Isabelle,
CHELLIG Nadia, Les enjeux de la
féminisation du corps des médecins des armées, Les Documents du C2SD,
Paris, 2001, n° 41, p. 24.
[8] BUROT-BESSON Isabelle,
CHELLIG Nadia, Les enjeux de la
féminisation du corps des médecins des armées, Les Documents du C2SD,
Paris, 2001, n° 41.
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