Guillaume MULLER
Centre de
Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France
L’article retranscrit
ci-dessous est paru dans la revue Les
Ailes en 1926[1]. Cet
article est particulièrement intéressant dans le mesure où il revient sur des
événements toujours en cours : la guerre du Rif et l’insurrection au
Levant. L’aviation militaire française y
joue un rôle majeur en coopération avec les forces terrestres.
L’entre-deux-guerres
est une période de genèse pour la dimension aérienne en contre-insurrection, en
particulier dans les empires coloniaux. La question d’un potentiel Air Control à la française est
soulignée. Et dans cette optique se pose une autre question, celle du matériel le
mieux adapté à ce type de conflit.
La problématique
de l’adaptation des armées européennes aux small
wars est particulièrement sensible pour les forces aériennes. C’est
toujours la même question qui se pose aujourd’hui. Si technique et technologie
ont considérablement évolué depuis 1926, les missions effectuées et les
caractéristiques requises restent cependant les mêmes. Quelles doivent être les
caractéristiques de l’avion idéal pour la contre-insurrection ?
Les Ailes, n°249, 25 mars 1926. |
« L’avion militaire colonial
Voilà une idée intéressante qu’il faut
réaliser.
Nous publions
ci-dessous l’intéressante communication qui nous est adressée sur un problème
nouveau – nouveau surtout pour l’aviation française, puisqu’il est déjà étudié
par la
Grande-Bretagne. – L’auteur, en raison des fonctions qu’il
occupe, doit conserver l’anonymat. Mais nous le connaissons et ce que nous
pouvons dire, c’est qu’il est hautement qualifié pour traiter cette importante
question.
Les événements du
Maroc et de la Syrie
ont suffisamment mis en évidence, s’il en était besoin, l’efficacité de
l’intervention de l’avion dans la guerre coloniale. D’aucuns lui ont même
attribué une prépondérance marquée dans la décision finale. Mais on oublie trop
à cet égard, que l’aviation est partie d’un ensemble militaire qui lui impose
ses moeurs et des formules, et qu’elle n’a pas de doctrine coloniale
interprétée et développée librement avec des moyens suffisants. Maîtresse de
son destin et combinant son action avec celle de forces légères très mobiles et
bien encadrées, serait-elle en mesure de maintenir l’ordre et, le cas échéant,
de réduire une révolte ? – La question reste posée. Des expériences ont été, ça
et là, tentées : l’échelle en fut suffisante pour que l’on puisse conclure dans
un sens ou dans l’autre.
Il est cependant
hors de doute qu’aux colonies comme ailleurs, toutes les conséquences
militaires des actuelles possibilités de l’avion n’ont pas été tirées.
L’aviation des T.O.E. se doit donc à elle-même, dans la sphère qui n’est qu’à
elle, de perfectionner ses méthodes, et en premier lieu son matériel duquel le
rendement tactique résulte.
Pour équiper les 18 escadrilles du Maroc et de Syrie,
nous nous sommes tenus à un type d’avion unique : le Bréguet 14 A 2, jusqu’au jour où, la
gravité de l’agression riffaine nous incita à faire intervenir de gros
porteurs, et par conséquent à nous rapprocher de la conception anglaise qui, en
Mésopotamie et aux Indes, admet quatre types d’avions de six marques
différentes. Dès lors, où est la vérité ? Et la bonne exécution des multiples
missions demandées à l’aviation coloniale, motive-t-elle la mise en service
d’avions très différenciés ?
Je réponds résolument : non ! Un type unique doit
suffire si l’engin est parfaitement adapté aux conditions spéciales de son
emploi. L’avion du type européen n’a été à cet égard, qu’un pis-aller, et c’est
parce qu’il n’était que cela, que l’aviation des T.O.E. fut amenée à demander
des moyens plus complets. Le vénérable Breguet 14 A 2 nous a rendu
d’inestimables services et nous pouvons, par mesure d’économie, le conserver
jusqu’à l’épuisement des stocks. Mais après… ?
Après, il nous faudra l’avion militaire colonial.
Il est à créer parce que, dans le domaine de l’air, la
guerre coloniale ne présente pas d’analogies, ou que des analogies trompeuses,
avec la guerre en Europe. L’élément capital, qui en est absent, est l’avion de
chasse.
Or, le problème qui se pose déjà est le suivant : les
escadrilles de la Métropole
sont, peu à peu, pourvues d’avions nouveaux ; l’heure sonnera nécessairement où
il faudra songer à l’équipement des aviations d’outre-mer. Allons-nous les
doter d’avions ultra-rapides ? Eh bien ! je le dis sans ambages, les actuels
T.O.E. n’auraient que faire des brillantes machines de 400 et 500 CV construites
pour faire la guerre en Europe où les facteurs vitesse et plafond sont
absolument prépondérants.
Point n’est besoin d’un bolide filant à 220 kmsh pour
voir quelque chose à très basse altitude, pour ouvrir la voie aux groupes
mobiles, pour photographier, régler, bombarder dans les terribles plis des
montagnes riffaines et druzes. Il faut autre chose et cette chose doit être une
honnête, une consciencieuse machine dont je vais esquisser les caractéristiques
essentielles.
L’observation basse et la protection ne sont possibles
et ne sont fructueuses qu’à une vitesse de l’ordre de 100 à 150 kmsh. Inutile
donc que la machine soit un très fin coursier. Un rayon d’action de 400 à 500
kms serait d’autre part largement suffisant pour que l’on puisse atteindre aisément
la périphérie des territoires. Enfin, un plafond de 3.500 à 4.000 mètres
conviendrait.
Mais c’est surtout par les vertus particulières de sa
construction que l’avion colonial devrait se distinguer. Ce serait un but
essentiel que de diminuer par de sages études l’abondance et l’encombrement des
ravitaillements qu’il faut acheminer par des pistes hasardeuses ; de diminuer
également le personnel d’entretien et de réparation car la main-d’oeuvre coûte
cher lorsque, même, elle est militaire. Tout est à faire dans cet ordre
d’idées. Or, le prix de revient d’une escadrille isolée dans un bled africain
est un élément considérable du « devenir » de l’aviation aux Colonies. Il ne
faut pas qu’il soit tel, que l’on puisse songer à remplacer l’escadrille par un
bataillon. Ainsi donc, et en premier lieu, avion robuste dont la mise en oeuvre
soit simplifiée au maximum. Les circonstances de temps et de lieux l’exigent
impérieusement. De plus, le prix de revient étant subordonné à cette robustesse
et à cette simplicité c’est, par cela même, l’extension rationnelle des
possibilités d’emploi de l’aviation qui se trouve en jeu.
L’avion que j’envisage devrait avoir un écart de
vitesse important et être très maniable, soit pour le travail à basse altitude,
soit pour l’atterrissage sur des terrains sommaires. La question du pilotage,
dans les violents remous d’une atmosphère surchauffée, ne devait pas être
perdue de vue : centrage parfait, pas de bois ou très peu, alliages spéciaux
qui résistent aux basses et hautes températures des climats tropicaux. Une
cellule molle aux environs de 300 heures de vol et exigeant de constants et
délicats réglages serait à rejeter. Enfin, moteur robuste qui fasse un peu plus
de 60 heures de marche sans révision et surtout qui consomme peu d’essence ;
car l’essence revient cher lorsqu’il la faut transporter aux pieds de l’Atlas
ou à Deir-ez-Zor ou plus loin encore.
Avion de travail et non pas avion de combat, l’avion
colonial devrait être aménagé de telle sorte qu’il permette excellemment l’exécution
de toutes les missions de l’aviation sur le T.O.E., c’est-à-dire l’observation
basse, la liaison, la photo, le bombardement, le réglage, le mitraillage, le
ravitaillement, le transport du personnel, l’évacuation sanitaire et même le
vol de nuit. Tout cela suppose : une parfaite visibilité offerte à des
passagers très près l’un de l’autre dans une vaste carlingue où devraient être
logés, sans encombrement excessif, les appareils de travail nécessaire : un
dispositif permettant de fixer indifféremment des porte-bombes de 100, 50, 10
ou 5 kgs (les câbles de commande restant seuls en place) jusqu’à une charge
totale de 250 à 300 kgs ; dispositif également amovible, pour le transport de
deux blessés ; un blindage, etc…
Cette machine aurait-elle un seul ou bien deux moteurs
? Il faudrait voir ! La formule importerait assez peu : celle choisie devrait
répondre aux exigences envisagées, voilà tout.
Le problème posé
intéressera-t-il les Bureaux de l’Aéronautique Militaire ? Je le voudrais car
il m’apparaît que l’avion de travail du type colonial s’impose déjà dans les
domaines spéciaux, plus nombreux qu’on croit, où l’avion de chasse ennemi n’est
pas à redouter. Et à l’étudier, n’étudierait-on pas du même coup l’avion futur
de pénétration économique dans notre vaste empire africain ?...
A. L. »
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[1] A. L., « L’avion militaire colonial », Les
Ailes, n°249, 25 mars 1926.
L'Antonov 2 répondait bien à ce cahier des charges...
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