lundi 29 juin 2015

Un avion idéal pour la contre-insurrection ?


Guillaume MULLER
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France


L’article retranscrit ci-dessous est paru dans la revue Les Ailes en 1926[1]. Cet article est particulièrement intéressant dans le mesure où il revient sur des événements toujours en cours : la guerre du Rif et l’insurrection au Levant.  L’aviation militaire française y joue un rôle majeur en coopération avec les forces terrestres.
L’entre-deux-guerres est une période de genèse pour la dimension aérienne en contre-insurrection, en particulier dans les empires coloniaux. La question d’un potentiel Air Control à la française est soulignée. Et dans cette optique se pose une autre question, celle du matériel le mieux adapté à ce type de conflit.
La problématique de l’adaptation des armées européennes aux small wars est particulièrement sensible pour les forces aériennes. C’est toujours la même question qui se pose aujourd’hui. Si technique et technologie ont considérablement évolué depuis 1926, les missions effectuées et les caractéristiques requises restent cependant les mêmes. Quelles doivent être les caractéristiques de l’avion idéal pour la contre-insurrection ?
 
Les Ailes, n°249, 25 mars 1926.



 « L’avion militaire colonial

Voilà une idée intéressante qu’il faut réaliser.

Nous publions ci-dessous l’intéressante communication qui nous est adressée sur un problème nouveau – nouveau surtout pour l’aviation française, puisqu’il est déjà étudié par la Grande-Bretagne. – L’auteur, en raison des fonctions qu’il occupe, doit conserver l’anonymat. Mais nous le connaissons et ce que nous pouvons dire, c’est qu’il est hautement qualifié pour traiter cette importante question.

Les événements du Maroc et de la Syrie ont suffisamment mis en évidence, s’il en était besoin, l’efficacité de l’intervention de l’avion dans la guerre coloniale. D’aucuns lui ont même attribué une prépondérance marquée dans la décision finale. Mais on oublie trop à cet égard, que l’aviation est partie d’un ensemble militaire qui lui impose ses moeurs et des formules, et qu’elle n’a pas de doctrine coloniale interprétée et développée librement avec des moyens suffisants. Maîtresse de son destin et combinant son action avec celle de forces légères très mobiles et bien encadrées, serait-elle en mesure de maintenir l’ordre et, le cas échéant, de réduire une révolte ? – La question reste posée. Des expériences ont été, ça et là, tentées : l’échelle en fut suffisante pour que l’on puisse conclure dans un sens ou dans l’autre.
Il est cependant hors de doute qu’aux colonies comme ailleurs, toutes les conséquences militaires des actuelles possibilités de l’avion n’ont pas été tirées. L’aviation des T.O.E. se doit donc à elle-même, dans la sphère qui n’est qu’à elle, de perfectionner ses méthodes, et en premier lieu son matériel duquel le rendement tactique résulte.
Pour équiper les 18 escadrilles du Maroc et de Syrie, nous nous sommes tenus à un type d’avion unique : le Bréguet 14 A 2, jusqu’au jour où, la gravité de l’agression riffaine nous incita à faire intervenir de gros porteurs, et par conséquent à nous rapprocher de la conception anglaise qui, en Mésopotamie et aux Indes, admet quatre types d’avions de six marques différentes. Dès lors, où est la vérité ? Et la bonne exécution des multiples missions demandées à l’aviation coloniale, motive-t-elle la mise en service d’avions très différenciés ?
Je réponds résolument : non ! Un type unique doit suffire si l’engin est parfaitement adapté aux conditions spéciales de son emploi. L’avion du type européen n’a été à cet égard, qu’un pis-aller, et c’est parce qu’il n’était que cela, que l’aviation des T.O.E. fut amenée à demander des moyens plus complets. Le vénérable Breguet 14 A 2 nous a rendu d’inestimables services et nous pouvons, par mesure d’économie, le conserver jusqu’à l’épuisement des stocks. Mais après… ?

Après, il nous faudra l’avion militaire colonial.
Il est à créer parce que, dans le domaine de l’air, la guerre coloniale ne présente pas d’analogies, ou que des analogies trompeuses, avec la guerre en Europe. L’élément capital, qui en est absent, est l’avion de chasse.
Or, le problème qui se pose déjà est le suivant : les escadrilles de la Métropole sont, peu à peu, pourvues d’avions nouveaux ; l’heure sonnera nécessairement où il faudra songer à l’équipement des aviations d’outre-mer. Allons-nous les doter d’avions ultra-rapides ? Eh bien ! je le dis sans ambages, les actuels T.O.E. n’auraient que faire des brillantes machines de 400 et 500 CV construites pour faire la guerre en Europe où les facteurs vitesse et plafond sont absolument prépondérants.
Point n’est besoin d’un bolide filant à 220 kmsh pour voir quelque chose à très basse altitude, pour ouvrir la voie aux groupes mobiles, pour photographier, régler, bombarder dans les terribles plis des montagnes riffaines et druzes. Il faut autre chose et cette chose doit être une honnête, une consciencieuse machine dont je vais esquisser les caractéristiques essentielles.

L’observation basse et la protection ne sont possibles et ne sont fructueuses qu’à une vitesse de l’ordre de 100 à 150 kmsh. Inutile donc que la machine soit un très fin coursier. Un rayon d’action de 400 à 500 kms serait d’autre part largement suffisant pour que l’on puisse atteindre aisément la périphérie des territoires. Enfin, un plafond de 3.500 à 4.000 mètres conviendrait.
Mais c’est surtout par les vertus particulières de sa construction que l’avion colonial devrait se distinguer. Ce serait un but essentiel que de diminuer par de sages études l’abondance et l’encombrement des ravitaillements qu’il faut acheminer par des pistes hasardeuses ; de diminuer également le personnel d’entretien et de réparation car la main-d’oeuvre coûte cher lorsque, même, elle est militaire. Tout est à faire dans cet ordre d’idées. Or, le prix de revient d’une escadrille isolée dans un bled africain est un élément considérable du « devenir » de l’aviation aux Colonies. Il ne faut pas qu’il soit tel, que l’on puisse songer à remplacer l’escadrille par un bataillon. Ainsi donc, et en premier lieu, avion robuste dont la mise en oeuvre soit simplifiée au maximum. Les circonstances de temps et de lieux l’exigent impérieusement. De plus, le prix de revient étant subordonné à cette robustesse et à cette simplicité c’est, par cela même, l’extension rationnelle des possibilités d’emploi de l’aviation qui se trouve en jeu.
L’avion que j’envisage devrait avoir un écart de vitesse important et être très maniable, soit pour le travail à basse altitude, soit pour l’atterrissage sur des terrains sommaires. La question du pilotage, dans les violents remous d’une atmosphère surchauffée, ne devait pas être perdue de vue : centrage parfait, pas de bois ou très peu, alliages spéciaux qui résistent aux basses et hautes températures des climats tropicaux. Une cellule molle aux environs de 300 heures de vol et exigeant de constants et délicats réglages serait à rejeter. Enfin, moteur robuste qui fasse un peu plus de 60 heures de marche sans révision et surtout qui consomme peu d’essence ; car l’essence revient cher lorsqu’il la faut transporter aux pieds de l’Atlas ou à Deir-ez-Zor ou plus loin encore.
Avion de travail et non pas avion de combat, l’avion colonial devrait être aménagé de telle sorte qu’il permette excellemment l’exécution de toutes les missions de l’aviation sur le T.O.E., c’est-à-dire l’observation basse, la liaison, la photo, le bombardement, le réglage, le mitraillage, le ravitaillement, le transport du personnel, l’évacuation sanitaire et même le vol de nuit. Tout cela suppose : une parfaite visibilité offerte à des passagers très près l’un de l’autre dans une vaste carlingue où devraient être logés, sans encombrement excessif, les appareils de travail nécessaire : un dispositif permettant de fixer indifféremment des porte-bombes de 100, 50, 10 ou 5 kgs (les câbles de commande restant seuls en place) jusqu’à une charge totale de 250 à 300 kgs ; dispositif également amovible, pour le transport de deux blessés ; un blindage, etc…
Cette machine aurait-elle un seul ou bien deux moteurs ? Il faudrait voir ! La formule importerait assez peu : celle choisie devrait répondre aux exigences envisagées, voilà tout.

Le problème posé intéressera-t-il les Bureaux de l’Aéronautique Militaire ? Je le voudrais car il m’apparaît que l’avion de travail du type colonial s’impose déjà dans les domaines spéciaux, plus nombreux qu’on croit, où l’avion de chasse ennemi n’est pas à redouter. Et à l’étudier, n’étudierait-on pas du même coup l’avion futur de pénétration économique dans notre vaste empire africain ?...
A. L. »




[1]  A. L., « L’avion militaire colonial », Les Ailes, n°249, 25 mars 1926.

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