Baptiste COLOM-Y-CANALS
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13661, Salon Air, France
L’indépendance du Maroc au printemps
1956 change l’équilibre géostratégique en Afrique du Nord. Les projets
hégémoniques de l’Armée de Libération Marocaine (ALM) menacent les
implantations espagnoles et françaises au Sahara. L’Espagne tente de maintenir
ses positions au Sahara occidental, tandis que la France essaye de sécuriser la
frontière mauritanienne. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les
relations entre les deux pays sont houleuses. Mais la menace que l’ALM fait
peser sur le Sahara contribue au développement de relations militaires entre
les deux pays, premier pas vers une normalisation des échanges. Principaux
instruments et premiers artisans de la construction de ces relations, les
attachés militaires occupent une place de premier ordre dans cette diplomatie
militaire.
Si des échanges de vue sont
envisagés dès 1955, ce n’est qu’en juin 1956, que M. de la Tournelle
(ambassadeur de France en Espagne) et M. Artajo (ministre des Affaires étrangères
espagnol) reconnaissent la nécessité d’établir des contacts “en vue de se renseigner mutuellement sur les
solutions qu’elles entendaient donner aux questions mettant en jeu leurs intérêts respectifs au
Maroc.” Ils se mettent d’accord sur l’établissement d’un dialogue sur le
plan militaire. C’est la première étape dans la construction d’une coopération
militaire entre les deux pays.
Le commandant Dupont est envoyé
initialement à Madrid, en juillet 1956, pour sonder les intentions et la bonne
volonté des militaires espagnols sur les problèmes soulevés par la mise sur
pied des Forces armées marocaines. Cet envoyé “spécial” va étendre
progressivement les sujets de discussion avec les responsables militaires
espagnols : contrebande d’armes en Afrique du Nord (pour l’ALM et le FLN),
sécurité des possessions des deux pays en Afrique du Nord et lutte contre l’ALM.
Les Espagnols et les Français
souhaitent simplifier les canaux diplomatiques traditionnels en passant par un
seul interlocuteur : le commandant Dupont. Cette position s’explique pour deux
raisons, éviter les dérapages des relations diplomatiques en les simplifiant et
contrôler au plus près les échanges de renseignement. Dans cette optique les
rapports de renseignement établis par les attachés militaires des deux pays au
Maroc sont centralisés vers Madrid qui devient le principal point d’échange du
renseignement entre les deux pays.
La nomination du général Barroso,
ancien attaché militaire à Paris, à la tête du ministère des Armées, en février
1957, accélère la construction de ces relations. Conscient de la nécessité de
construire une coopération militaire avec la France pour consolider la position
espagnole au Sahara, il facilite l’action du commandant Dupont, avec lequel il
s’entretient personnellement.
La mission du commandant Dupont
Progressivement, le commandant
Dupont gagne la confiance du général Alcubilla, le chef de l’état-major central
et du colonel Gregori chef du bureau des affaires marocaines au ministère de l’Armée.
Il peut ainsi s’entretenir facilement avec les officiers spécialisés sur le
Maroc et le Sahara. Il insiste pour que ces contacts conservent la forme
d’échanges de renseignement et ne se transforment pas en négociation.
Rapidement ces échanges se focalisent sur le Sahara Occidental où le
gouvernement français s’inquiète de l’attitude des Espagnols. Il s’agit pour Paris
de mieux comprendre la politique espagnole vis-à-vis de la France sur les
questions africaines.
Le commandant Dupont tient une place
capitale dans la coopération entre les deux pays. S’il souligne la volonté des
hommes politiques espagnols de jouer un « double jeu » envers les
français pour se ménager les susceptibilités du Maroc, il doit également faire
face aux reproches des militaires espagnols qui accusent la France de mener,
elle aussi, par défiance envers les Espagnols, un « double jeu ». Il
essaye de rassurer les Espagnols sur les intentions françaises. Les
informations qu’il collecte sur le Sahara occidental lui permettent de mieux comprendre
la stratégie espagnole dans cette région. Son rôle est de faciliter les
relations entre les deux états-majors nationaux pour que chacun comprenne les intérêts de l’autre.
La préparation des opérations au Sahara
Cette diplomatie militaire permet au
commandant Dupont de faire remonter à l’état-major français des informations
précises sur les forces espagnoles en AOE et la stratégie du général Zamalloa,
gouverneur militaire du Sahara occidental. Il tient également Paris au courant
de la validation par le gouvernement espagnol des accords conclus entre les
commandants locaux au Sahara. De la même façon, les attachés militaires
français à Madrid deviennent pour Paris la principale source de renseignement
sur les bandes de l’ALM et leurs actions au Sahara. Ces informations complètent
les données recueillies lors des reconnaissances aériennes conduites dès
septembre 1957 sur le Sahara espagnol.
Lors de ces entretiens, les grandes
lignes du plan d’opération espagnol sont exposées au commandant Dupont qui peut
ainsi faire part des observations françaises. Durant les conversations de la
fin de l’année 1957, les entretiens menés par le commandant Dupont permettent
de préciser les conditions et les limites de la coopération française pour
l’opération planifiée.
Bien que cette coopération soit principalement
alimentée par les conversations ayant lieu à Madrid, le gouvernement espagnol
charge l’attaché militaire à Paris de régler les questions d’achat d’armement en
France (auto-mitrailleuses, péniches de débarquement et avions). Cette vente
d’armes est centrale pour l’armée espagnole et la conduite des opérations au
Sahara. Les attachés militaires à Paris et à Madrid facilitent également les
entrevues entre les hauts responsables militaires des deux pays à Madrid et à
Paris, permettant ainsi une concertation “directe” entre ces autorités
militaires. Cette liaison s’avère capitale dans la préparation des plans
d’opération au Sahara.
Le renseignement aérien dans les opérations
A la veille des opérations, le
commandant Lissarague, attaché de défense Air de l’ambassade française est
envoyé à Las Palmas pour servir de conseiller Air au général Lopez Valencia,
commandant des forces espagnoles et coordonner au mieux la coopération des deux
forces aériennes. Sa mission est de servir de lien direct avec l’ambassade de
France à Madrid. Bien que les deux forces aériennes opèrent chacune de son
côté, des T-6 français viennent se poser à l’aérodrome de Las Palmas de Gran
Canarias pour embarquer des observateurs espagnols et conduire des
reconnaissances au profit des troupes espagnoles.
Le commandant Lissarague souligne le
manque de moyen de collecte de l’aviation espagnole qui utilise d’antiques He
111 pour ces missions. De fait, la majorité des opérations de reconnaissance
aérienne est assurée par l’aviation française qui utilise ses moyens présents
en Algérie et en Afrique Occidentale. Les RB-26, chargés des missions de
reconnaissance photographique opèrent depuis Fort-Trinquet, mais ces missions
restent mineures dans les opérations. Elles se limitent aux sorties nécessaires
pour établir une cartographie précise de la région. La principale source du
renseignement aérien reste le produit des reconnaissances à vue conduites par
les T-6. Cette méthode de collecte mise au point dans les opérations en Algérie,
se révèle particulièrement bien adaptée à la géographie désertique du théâtre
des opérations. Le compte-rendu de l’opération explique que « la plupart des objectifs ont été découvert
par l’aviation lors des reconnaissances à vue ». De plus, le T-6 présente
l’intérêt de pouvoir être armé afin d’intervenir dès l’identification de
l’objectif avant que l’adversaire ne disparaisse dans l’immensité du terrain.
L’Armée de terre pour sa part emploie
ses Tripacer dans des missions d’observation en couverture des colonnes
terrestres engagées dans le Rio del Oro et le Saguia el Hamra. En cela la
recherche du renseignement aérien durant l’opération Ecouvillon est une
transposition des savoir-faire élaborés dans les premières phases du conflit en
Algérie. Cette opération montre l’efficacité de l’adaptation des moyens aériens
français dans la recherche de renseignement lors d’un conflit de
contre-insurrection.
Conclusion:
Le travail des attachés militaires a
été capital pour surmonter les incompréhensions entre les deux armées et
comprendre les buts stratégiques de chacun. La convergence des intérêts sur la
question du Sahara a obligé les deux puissances à construire une véritable
coopération militaire. Le réseau des attachés militaires permet à chacun des
deux pays d’interagir dans toute l’étendue de l’action diplomatique pour
construire une réelle coopération militaire. Celle-ci n’a pu voir le jour
qu’avec une diplomatie militaire dynamique conduite par les attachés militaires.
Ensuite, le renseignement aérien fut incontournable pour permettre une
planification cohérente et une conduite efficiente des opérations .
Bibliographie :
CATALA,
Michel, La France, l’Espagne et
l’indépendance du Maroc, Paris, les Indes Savantes, 2015.
COLOM-Y-CANALS, Baptiste, « El papel
de los agregados militares en la cooperacion franco-espanola en el Sahara
(1955-1958) » in VINAS – MARTIN, Angel y PUELL DE LA VILLA, Frenando, La historia militar hoy :
investigaciones y tendencias, Madrid, Instituto Universitario General
Gutierrez Mellado, 2015, p. 315 – 338.
DULPHY,
Anne, La politique de la France à l’égard
de l’Espagne de 1945 à 1955 : Entre idéologie et réalisme, Paris, La
Documentation Française, 2002.
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