Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France
Où en sommes-nous, chez nous, … en
France ?
Article édité dans la
revue Les Ailes, N° 734 du 11 juillet
1935, page 9.
Ce
texte montre les difficultés rencontrées au milieu des années 1930 en ce qui
concerne la recherche et le développement dans le domaine de l’aéronautique
française. Le Service technique aéronautique (S.T.Aé.) a été fortement critiqué
et considéré comme un des principaux responsables du retard pris par la France dans les études
touchant au secteur de l’aviation. Ici, l’auteur, en prenant pour exemple le
Queen-bee britannique, revient indirectement sur les problèmes rencontrés par
Max Boucher (voir article sur l’avion sans pilote) et par Maurice Mazade sur
les essais prometteurs portant sur la télémécanique et qui n’ont pas été
poursuivis car « torpillés » dès le début par le S.T.Aé.
Comment l’aviation britannique a surmonté les difficultés d’un problème
ardu
On a fait quelque bruit, ces temps-ci au
sujet d’un biplan « Tiger-Moth » équipé d’un dispositif télémécanique
grâce auquel cet avion sans pilote peut évoluer, commandé à distance, dans un
rayon de 15 km .
J.K. Aircraft nous donne ici quelques renseignements intéressants sur le
problème et la solution réalisée.
Devant le très intéressant article de J.K.
Aircraft qu’on va lire plus loin, je ne peux m’empêcher de le faire précéder de
quelques mots.
Où en sommes-nous, dans l’Aviation
française, en matière d’avion télécommandé ?
C’est évidemment une question à laquelle le
Ministère de l’Air ne répondra pas. Et cela se conçoit. Mais s’il en était
autrement, je crains fort que sa réponse ne soit guère brillante.
Or, il fut un temps pas très lointain, vers
1925-1926, où dans ce domaine, la
France avait réalisé une sérieuse avance. Les vieux lecteurs
des Ailes n’ont pas oublié la campagne que nous avons menée, deux ou trois ans
plus tard, en faveur de Maurice Mazade que les services officiels venaient de
torpiller délibérément.
Ce sont les travaux de Maurice Mazade qui
ouvraient alors à l’aviation télécommandée de tels horizons que l’Etat était
disposé à s’assurer l’exclusivité des recherches et des résultats de cet
ingénieur. A la veille de conclure cet accord, le S.T.Aé. a torpillé Mazade
comme, quelques années après, il devait torpiller René Couzinet, sans se
soucier de l’immense valeur personnelle que l’un et l’autre représentaient.
Au moment où l’aviation britannique sort le
Queen-Bee, on ne peut s’empêcher de rapprocher l’évènement des travaux de
Maurice Mazade et de se poser cette
question : « Où la
France en serait-elle avec les avions automatiques
télécommandés si le S.T.Aé. n’avait pas, il y a une dizaine d’années,
interrompu l’œuvre de l’homme qu’il considérait cependant comme le seul qui ait
alors obtenu, en la matière, des résultats sérieux ? »
Je ne suis pas un adversaire systématique du
S.T.Aé. Au contraire, je l’ai souvent défendu. Il comprend des gens de valeur.
Tout de même, les « erreurs » du S.T.Aé. ont nui beaucoup à
l’Aviation française ; elles lui nuiront encore tant que l’on n’y aura pas
mis fin par une réforme qui vraiment, se fait un peu trop attendre.
G.H.
-----
Londres, juillet 1935
Puisqu’il m’est aujourd’hui permis de parler
enfin de cet avion-but, qui nous a rendu de si réels services depuis que nous
l’avons inauguré, j’en profiterai pour étendre la discussion, et examiner un
peu le problème dont il représente la solution.
Si le problème de la télémécanique a été
abordé à peu près par tous les pays simultanément, si la télécommande a même
été résolue, en principe, depuis longtemps, nous sommes les premiers, en
Angleterre, à avoir utilisé un avion ainsi équipé comme but dans nos tirs
réels, nos écoles à feux. Nous n’en tirons d’ailleurs aucun orgueil
particulier.
Le
premier but télécommandé
Il me faut d’ailleurs honnêtement
reconnaître que ce n’est pas notre arme, l’Aviation royale britannique, qui a,
la première réalisé cette image de but réel ; c’est notre Marine, qui a
mis cette idée en pratique depuis plusieurs années. Je crois utile de le signaler,
parce que, si mes renseignements sont exacts, d’autres Marines possèdent une
doctrine toute autre et n’ont pas réalisé encore un but télécommandé.
Notre Marine, au contraire, s’en est
préoccupée depuis longtemps. La
Marine allemande l’a imitée d’ailleurs : elle aussi tire
sur un navire vrai, qui manœuvre sur ondes radioélectriques. Les Etats-Unis, à
leur tour, ont appliqué la télécommande à la manœuvre d’un contre-torpilleur.
Il y a donc huit ans environ, notre Marine a
décidé de réserver un vieux cuirassé, le Centurion, à la réalisation de ce
projet ; nous l’avons préparé complètement en enlevant tout ce qui pouvait
lui causer à bord des avaries inutiles ou qui pouvait nous servir par ailleurs.
C’est ainsi que les parties mobiles des tourelles ont été détachées, et que
tout ce qui n’était pas nécessaire des superstructures fut peu à peu démoli.
Par contre il est des organes – tels que la cheminée – qui restent
indispensables ; le navire possède, en effet un appareil moteur qui lui
permet de se mouvoir ; il faut donc une évacuation aux gaz brûlés dans les
chaudières ; cette cheminée est un organe délicat, et il se passe bien peu
d’écoles à feux, sans qu’elle ne soit atteinte par un projectile ; comme
elle est en tôle peu résistante, l’obus non chargé d’ailleurs, fait un impact à
l’emporte-pièce en enlevant peut-être un peu plus de tôle à la sortie. Après
chaque série d’écoles à feux, le Centurion est conduit à l’arsenal pour être
réparé, et remis en état de servir à nouveau.
Le Centurion possède un équipage, qui en
temps ordinaire, vit à bord, et qui, peu avant le début de l’école à feux, descend,
à l’abri des ponts cuirassés, le matériel qui lui est propre, ses sacs et ses
vêtements ; puis il débarque lui-même et embarque sur le destroyer
d’escorte, le Shiroko, qui, lui, commande par radio le cuirassé, le remet en
marche, le fait évoluer ou changer de vitesse.
L’évolution
dans les trois dimensions
La pratique de ces écoles à feux,
l’expérience que l’on en a acquise, ont amené à considérer une application
semblable à l’Aviation. Le problème diffère cependant par plusieurs points.
Le Centurion étant un navire de surface, un
but marin d’école à feux, il ne se meut que dans un espace à deux
dimensions ; un avion-but doit pouvoir se mouvoir dans trois dimensions.
D’un autre côté, à bord d’un cuirassé, tel
que le Centurion, nous avions toute place pour installer les appareils
récepteurs ; à bord d’un avion la place est limitée, et le poids entre
sévèrement en ligne de compte.
Enfin, un troisième point est qu’en cas de
non-fonctionnement de la radio, pour une cause ou une autre, le Centurion
pourra toujours être rattrapé ; à un moment donné, son combustible cessera
d’arriver aux chaudières et il stoppera.
Il a fallu prévoir, pour notre avion-but,
une compensation qui lui permette automatiquement de faire certains
rétablissements d’équilibre dans l’air, et de revenir sainement à terre ou sur
mer.
Insuffisance
des tirs sur manche
Nous avons été ainsi guidés dans
l’établissement de notre projet par les tirs sur manche.
Ce sont précisément les défauts de ces tirs
qui nous ont le plus invités à recourir à l’avion-but.
Dans les tirs sur manche, un de nos avions
remorque à 1.000 yards
(environ 900 mètres )
derrière lui une manche, sur laquelle on tire.
Ce remorquage limite la vitesse de l’avion,
et immédiatement le tireur est mis dans des conditions qui ne seront
qu’exceptionnelles à la guerre.
En second lieu, l’avion et la manche ne
peuvent se livrer à des évolutions rapides.
De terre ou de bord, le tireur peut prévoir
la route de la manche en suivant l’avion ; il n’y a aucune surprise
d’évolution brusque. La manche est ainsi douée d’une inertie nouvelle et
spéciale.
De cette façon aussi, les changements
d’altitude sont peu rapides et peu fréquents.
L’avion-but
L’avion-but que nous avons imaginé, et qui
depuis deux ans est en service, est du type de Havilland Tiger-Moth ; il a
comme moteur un Gipsy-Major de 130 chevaux. On l’appelle le Queen-Bee,
l’abeille-reine ; mais en réalité, il y en a plusieurs qui forment une
véritable escadrille d’avions.
Comme on a voulu que cet avion télécommandé
servît aussi bien aux tirs de terre que de bord, il y a, en réalité, deux
séries d’appareils distincts : les avions et les hydravions.
Les avions peuvent décoller d’un terrain et
y atterrir ; quant aux hydravions, on les catapulte des bords, et ils
viennent ensuite amerrir près du navire qui doit les repêcher.
La
commande
L’appareil de commande est contenu à
l’intérieur d’un socle d’un mètre de haut environ, à section carrée, de 30 centimètres de
côté ; il peut être placé en un point du terrain bien dégagé où l’on
puisse suivre et surveiller les mouvements de l’avion ; il est posé sur le
sol ou, s’il est employé par la
Marine , fixé à bord. Ce socle est, bien entendu, relié aux
antennes d’émission. Un tableau porte des boutons marqués climbing (montée),
landing (atterrissage ou amerrissage), etc…
L’avion peut donc quitter les sol ou l’eau ; il peut s’élever jusqu’à 3.000 mètres de
hauteur ; il peut évoluer en tout sens , aussi bien en direction qu’en
altitude.
Toutefois, lorsque par suite d’une manœuvre,
on lui fait piquer du nez trop rapidement pour changer d’altitude et qu’il y
aurait risque de s’enfoncer dans la mer ou emboutir le sol, un altimètre
différentiel intervient et commande le rétablissement à une altitude prévue à
l’avance.
Pour faire atterrir l’avion – ou amerrir
l’hydravion – il suffit de l’amener à une altitude assez basse, puis sur le
socle de commande, de presser le bouton landing : l’avion descend et vient
« tangenter » le sol ; un dispositif automatique complète la
manœuvre d’atterrissage d’une façon parfaite, lorsque l’avion n’est plus qu’à
une hauteur de quelques mètres au-dessus du sol.
En l’air, en dehors des évolutions normales,
l’avion peut même exécuter un certain nombre d’acrobaties.
L’avion
deux fois abattu
Au cours de ces deux dernières années, le
Queen-Bee a été utilisé soit en mer, soit près du rivage, dans une zone de 15 km . environ autour de son
poste de commande.
Il n’a été que deux fois abattu par le tir ;
mais cette expérience est précieuse, car les évolutions rapides et diverses de
l’avion nous obligent à modifier les méthodes du tir contre avion ;
l’exercice sur manche ne permettait pas de juger, en tout état de connaissance,
la valeur de ces méthodes pour les tirs de guerre.
C’est là le grand progrès de l’avion-but
télécommandé.
Le 26 juin dernier, l’avion a été
expérimenté à notre Etablissement de Farnborough ; comme il devait
évoluer, cette fois-là, au dessus d’une zone habitée, un pilote avait pris
place à bord par mesure de sécurité, mais il n’a pas eu à intervenir.
Un seul incident et encore ce mot est-il
trop fort, faillit se produire à l’atterrissage : l’avion roula trop
longtemps sur le sol, et vint juste s’arrêter devant une haie.
Par contre, pendant tout l’exercice, il
obéit parfaitement à la commande qui en fut faite, pour monter, descendre,
évoluer.
Ce type d’avion mérite donc d’être répété
pour donner plus d’intérêt aux exercices.
En outre il nous met sur la voie des avions
télécommandés pour l’attaque des zones difficiles ou interdites en temps de
guerre.
J.-K.
AIRCRAFT
Publicité dans la revue Les Ailes en 1926 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire