Christian BRUN
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France
Pourquoi l’histoire est-elle indispensable voire incontournable, d’un point de vue pédagogique, dans l’enseignement de l’éthique au sein des écoles militaires ? Nous répondrons, ici, en rappelant simplement que cette discipline, en offrant la possibilité à toutes les autres de s’appuyer sur des faits historiques, autrement dit sur un creuset d’expériences, est probablement la plus à même d’aborder les notions fondamentales de l’éthique, que nous appellerons ici soit « morale réfléchie », soit « éthique appliquée ».
Héraclès et Athéna |
Mais, d’aucuns peuvent se poser des questions sur la finalité d’une telle approche et mettre en cause cette façon d’aborder des problèmes « philosophiques ». Nous leur apporterons une première réponse en faisant appel à une réflexion de Marc Bloch. En effet, il écrivait, lui qui détestait les historiens qui jugeaient au lieu de comprendre : « Il faut enraciner profondément l’histoire dans la vérité et la morale parce que la science historique s’achève en éthique, parce que l’histoire doit être vérité ; l’historien s’accomplit comme moraliste, comme juste ». Et d’ajouter : « Notre époque, désespérément en quête d’une nouvelle éthique, doit admettre l’historien parmi ces chercheurs du vrai et du juste, non pas hors du temps, mais dans le temps. »[1] En effet, l’historien se doit de rechercher ce qu’il estime vrai et juste. Il ne doit pas se positionner en tant que moraliste dans les « enquêtes », mais comme pourvoyeur de connaissances humainement et historiquement acceptables par tous.
Tout est dit et tout est annoncé dans
cette citation. Tout d’abord, la connaissance historique, les rappels des
différents « évènements » passés, le terme événement étant pris dans
son sens le plus large, doivent avoir pour conséquence une
« présentation » de notre vérité, et par extension et utilisation,
une approche réflexive de la « morale réfléchie ».
Ensuite, l’historien qui s’approprie ces
évènements, qui tente de les comprendre et de les analyser, parce qu’il est
transmetteur[2], parce
que le savoir se partage, doit se positionner en tant que détenteur et gardien
des expériences du passé, expériences qui renvoient inévitablement à des
concepts et des interrogations éthiques.
Marc Bloch parle également d’une époque
toujours à la recherche d’une éthique, en quelque sorte une recherche du Bien
et du Mal, ou plus exactement d’une délimitation mathématique entre ce qui doit
être fait et ce qu’il ne faut pas faire. Epoque qui réglemente, qui codifie,
qui légifère, mais époque qui, parce qu’elle a peur de la réflexion et du sens
à donner aux « choses », réinvente et reproduit naturellement les
prises de décision et les gestes, et par là même reproduit également les
erreurs.
Enfin, il replace l’historien dans le
temps, c'est-à-dire dans l’action. Son travail n’a pas pour mission de proposer
des événements sur étagère, il doit être le pourvoyeur de solutions ou plus
exactement de choix. Il est celui qui doit faire comprendre pourquoi des prises
de décisions peuvent entraîner des manquements à ce que Marc Bloch appelait la
morale, et que nous appellerons ici l’éthique appliquée. Nous utiliserons cette
expression parce que la morale, dont la définition a été dénaturée, représente
probablement un concept trop connoté donc controversé.
L’historien, pour avoir traversé les
périodes les plus troubles de la première moitié du vingtième siècle, savait de
quoi il parlait. Il connaissait l’importance des conséquences des décisions,
des choix et des actions des hommes plongés dans ces « histoires »[3].
Pas seulement des hommes de pouvoir qui dirigeaient ou de ces hommes qui
donnaient les ordres, mais aussi de ceux qui exécutaient, qui appliquaient,
c'est-à-dire de tous ceux qui agissaient.
Donc, pour reprendre ses propos et afin
d’aller plus loin dans les apports de l’histoire et des historiens, nous
pensons que cette discipline est à même non pas d’apporter des solutions, mais
de présenter, d’offrir des constats, des résultats sur des comportements et des
actes donnant lieu à des interrogations et pourquoi pas à des explications
éthiques[4].
L’histoire n’est pas là pour indiquer le chemin à suivre, ce serait d’une
prétention extrême, mais en revanche elle peut signaler différents chemins à
éviter parce que, tout simplement, ces chemins ont déjà été empruntés. Ainsi,
même si notre époque impose parfois de penser que l’histoire est une discipline
secondaire destinée à servir prioritairement et parfois exclusivement au
« plaisir » et à « faire plaisir », même si elle estime que
l’histoire ne doit sortir de son giron que dans le cadre des fêtes nationales
et des commémorations, même si elle s’enthousiasme et applaudit lorsque Clio
« défile » les jours anniversaires ou lors d’expositions, il n’en
demeure pas moins que l’histoire reste et restera vraisemblablement la
discipline qui expose et peut expliquer les problèmes passés liés à des
concepts moraux, problèmes oubliés, soit délibérément, soit par négligence. Et
pourtant, l’histoire du vingtième siècle, parce que c’est celle du siècle des
extrêmes et surtout des interrogations, parce que c’est aussi le siècle des
guerres déshumanisées et totales[5],
est un réservoir inépuisable d’exemples analysés et à analyser devant servir
des notions telles que : la soumission et l’insoumission, la
responsabilité, le conformisme, les actes déviants sur le terrain, les
exactions, les comportements non conformes à l’éthique, la prise de décision[6],
…
[1] Marc
Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier
d’historien, Paris, Armand Colin, 2005, p. 25.
[2]
Emmanuel Laurentin (dir.), A quoi sert
l’histoire aujourd’hui, Montrouge, Bayard, 2010, p. 69.
[3]
Laurentin, op.cit., p. 78.
[4]
Stéphane Audoin-Rouzeau, Combattre,
Paris, Seuil, 2008, p. 53.
[5] René
Rémond, Regard sur le siècle, Paris,
Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2007, pp. 44-52.
[6]
Laurentin, op.cit., p. 101.
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