Laurent BOVET
École de l’Air, 13 661, Salon Air, France
C’est le
Mais s’ils ont parcouru ce jour
là jusqu’à 260m en ligne droite avec leur « Flyer », il n’est pas du tout certain qu’ils auraient
pu aller beaucoup plus loin ou même simplement revenir à leur point de départ.
Pour preuve une étude moderne
menée dans les années 80 sous l’égide de l’AIAA, le « Wright Flyer
Project », qui, grâce à des résultats en soufflerie d’une maquette à
l’échelle réduite complétés par un code numérique, a permis de modéliser
l’aérodynamique de cet avion et mettre ainsi en évidence les défauts majeurs
dont il souffrait, notamment en terme de stabilité et de contrôle.
La
question de la stabilité longitudinale
En tant que fabriquant de
bicyclette, les Wright ne se sont jamais vraiment préoccupés de la stabilité de
leur avion. Ils pensaient en effet que comme un cycliste sur son vélo, le
pilote pourrait toujours contrôler la trajectoire de son avion avec un peu
d’habileté et pas mal d’expérience. Ainsi pour leur premier avion de 1903, il
est désormais clair qu’ils ont favorisé la manoeuvrabilité au détriment de la
stabilité.
En effet, lors d’essais
préliminaires effectués sur des cerfs-volants puis sur des planeurs pilotés,
les Wright ont noté qu’en plaçant l’empennage horizontal à l’avant, configuration
dite « canard », l’avion semblait mieux répondre aux sollicitations
en tangage. Mais les deux frères observaient simplement une instabilité en
tangage de leur avion quand ils pensaient avoir obtenu une meilleure
contrôlabilité.
De plus, ils étaient obsédés par
la capacité à récupérer l’avion suite à un décrochage, ce qui avait été la
cause de l’accident mortel d’Otto Lilienthal en 1896. Et les Wright pensaient,
à tort, que l’empennage horizontal serait plus efficace à l’avant que derrière
les ailes pour le contrôle en tangage dans ce cas de figure. Enfin, ces
premiers pilotes d’essais voulaient pouvoir visualiser à tout instant la
position de la gouverne de tangage pendant qu’ils manoeuvraient l’avion.
Et donc, en contradiction avec
les travaux de Cayley en 1799 puis Pénaud en 1872 qui montraient le caractère
longitudinalement stable d’un avion avec un empennage placé à l’arrière, les
deux frères choisirent la configuration canard pour leur premier avion.
Avec un centre de gravité situé 20%
de corde derrière le foyer (marge statique de -20%), le Flyer était donc
fortement instable sur l’axe longitudinal. Mais plusieurs facteurs ont concouru
au fait qu’il puisse quand même être à peu près contrôlé sur un vol court.
Tout d’abord son fort
amortissement en tangage qui a contribué à améliorer sa stabilité dynamique,
mais surtout la grande habileté et l’expérience de ses deux pilotes acquise au
cours de douzaines d’essais pilotés sur des planeurs en 1901 et 1902.
Il faut noter cependant que la
configuration « canard » n’implique pas forcément une instabilité
longitudinale. Mais avec 95% de sa masse totale concentrée entre ses 2 ailes les
marges de centrage de l’avion étaient très limitées.
Il fallait donc pour régler ce
problème d’instabilité longitudinale soit déplacer le centre de gravité de
l’avion le plus avant possible, soit changer radicalement de configuration.
Après plusieurs années de
tâtonnement sur la configuration « canard » jusqu’en 1909 qui ont vu
l’ajout progressif de lest à l’avant accompagné d’une augmentation de masse qui
pénalisait ses performances, la configuration « classique » avec
empennage à l’arrière sera finalement adoptée sur le « Model B » de
1910 avec pour la première fois le centre de gravité situé devant le foyer (marge
statique positive) et un avion longitudinalement stable (Fig. 1).
Le
problème du virage
Pour faire virer un avion, il
faut créer une force latérale propre à faire « tourner » son vecteur
vitesse.
Si certains pionniers pensaient
que la portance latérale créée par une simple mise en dérapage à plat de
l’avion serait suffisante pour virer, les Wright pensaient eux qu’il serait
beaucoup plus efficace d’incliner leur avion afin d’utiliser la composante de
la portance des ailes dans le plan horizontal. Du reste, le Flyer ne présentait
qu’une très faible surface latérale, limitée à sa petite gouverne de direction,
ce qui en faisait un mauvais candidat pour effectuer un virage à plat.
Pour incliner l’avion et créer un
moment de roulis, les frères ont élaboré un système de torsion des ailes, qui
donnera d’ailleurs le terme de « gauchissement » au contrôle sur cet
axe, encore utilisé de nos jours même si les ailes ne sont plus
« gauchies » au sens propre du terme.
La commande de roulis était de
surcroît couplée mécaniquement à la gouverne de direction afin d’annuler la
prise de dérapage consécutive à l’action de gauchissement des ailes. Les Wright
ont donc créé en 1903 la première
coordination de virage automatique encore utilisée de nos jours dans les
calculateurs de commande de vol des avions modernes.
Cependant, les quelques avantages
qui auraient pu être tirés de ces choix très judicieux pour le pilotage de
l’avion ont été perdus à cause d’autres beaucoup moins pertinents comme le dièdre
des ailes.
Dès 1800, Cayley avait noté qu’en
relevant le bout des ailes vers le haut (dièdre positif), l’avion avait
tendance à partir en roulis à l’opposé du dérapage ce que l’on connaît de nos
jours sous le terme « d’effet dièdre ». Cet effet dièdre permet, avec
d’autres facteurs, de faire naturellement sortir l’avion d’un virage sans
action sur les commandes, ce que l’on appelle la « stabilité
spirale ».
Les Wright connaissaient l’effet
dièdre, mais lors de leurs essais sur des planeurs en vol de pente, ils avaient
noté qu’en abaissant au contraire le bout des ailes (dièdre négatif), l’avion
avait tendance à s’incliner dans le sens de la descente si une rafale venait de
côté et non d’être rabattu sur la pente, ce qui représentait un facteur de
sécurité.
Fig. 3 : Sur cette vue de face du Flyer de 1903 les ailes forment deux arches avec un dièdre négatif marqué |
En fait, le choix de ces ailes en
forme d’arche sur leur avion de 1903 (Fig. 2) se révéla désastreux pour le
contrôle du virage c’est-à-dire la capacité à maintenir une inclinaison et
remettre les ailes à plat facilement. C’est l’observation qui a rapidement été
faite lors des premiers essais de virage en Septembre 1904, soit près de 10
mois après leur premier vol historique, où Wilbur Wright expérimenta un virage
engagé avec une impossibilité d’en sortir, causant la destruction partielle de
son avion.
On sait aujourd’hui, avec des
moyens d’analyse moderne, qu’avec cette forme d’ailes particulière le Flyer de
1903 était très instable sur sa spirale, ce qui le rendait pratiquement
incontrôlable en virage.
Dès leur modèle suivant de 1905,
les Wright optèrent pour un dièdre nul, c’est-à-dire des ailes bien planes,
qu’ils conservèrent sur les modèles suivants jusqu’en 1912.
En
conclusion…
Avec des moyens d’analyse
modernes, nous savons aujourd’hui que le Flyer des frères Wright de 1903 était
à peine contrôlable. Non seulement son instabilité longitudinale demandait une
concentration de tous les instants de la part du pilote, mais avec de surcroît
une forte instabilité spirale, son pilotage devenait quasiment impossible.
Il faut cependant noter que
certaines difficultés qu’ils rencontrèrent ne furent résolues que bien plus
tard. La stabilité des avions, par exemple, ne fut théorisée qu’en 1925 par
Louis Bréguet alors que les avions volaient depuis pas mal d’années.
Et puis finalement, avec son plan
canard et sa construction en matériaux composite, le Flyer était
conceptuellement plus proche du Grumman X-29 des années 80 que du « Vieux
Charles » de Guynemer !
Et Clément Ader ?
RépondreSupprimerL'essai de Clément Ader est considéré comme un "bond" et non comme un véritable vol.
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