jeudi 12 mars 2015

L’École de l’Air pendant la Deuxième Guerre mondiale : de Salon à Marrakech (1)

Christian BRUN, Guillaume MULLER, Yousra OUIZZANE
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

Les pérégrinations d’une École (août 1939-novembre 1942)

A partir d’août 1939, avec la mobilisation, l’École de l’Air est condamnée au nomadisme et les promotions sont dispersées au gré des événements. La promotion 1938, qui entame alors sa deuxième année, se replie sur Bordeaux avec la plupart des représentations gouvernementales. Cependant, le site ne peut pas accueillir l’ensemble des arrivants et les élèves sont acheminés vers Bergerac, Mont-de-Marsan et Landes de Bussac.

Toulouse, Château de Bellevue, promotion 1940

L’incorporation de la nouvelle promotion, celle de 1939 (Pinczon du Sel), amène un peu de vie et d’espoir à l’École. C’est donc au mois d’octobre que 229 élèves, accompagnés de leur drapeau dont ils ont reçu la garde, intègrent la base aérienne de Bordeaux puis, dès janvier 1940, qu’ils sont répartis en fonction de leur spécialité, soit à Landes de Bussac, soit à Mérignac, soit au camp de Sousse.
Une partie de la Promotion Pinczon du Sel rejoint Mont-de-Marsan où quelques-uns de la promotion 1938 poursuivent leur entraînement.
En juin 1940, la promotion 1939 est à nouveau réunie à Bordeaux. Le colonel Bonneau, commandant de l’École de l’air, reçoit l’ordre de replier l’École sur l’Afrique du Nord. Il part donc pour l’Oranie afin de reconnaître les lieux. Mais, l’École ne pourra jamais embarquer et se retrouvera sans chef au milieu de la débâcle générale, avec un encadrement réduit. Elle sera alors acheminée vers le Roussillon. Tout d’abord à Argelès-sur- Mer, puis à Port-Vendres et enfin à Collioure, au Château des Templiers. Elle y restera jusqu’au 15 août 1940. Elle retournera brièvement à Salon, puis sera dissoute le 31 août de la même année.
En novembre 1940, les sous-lieutenants de la promotion 1939 effectuent un stage de trois mois dans différents centres, dont certains sont situés en Afrique du Nord comme Marrakech, Rabat, Meknès, Oran ou Sétif. Ainsi, pour les élèves de l’École de l’Air, commence alors une odyssée qui se terminera quelques années plus tard en terre chérifienne.
L’École de l’Air n’a donc cessé de déménager jusqu’à sa dissolution, le 31 août 1940, suite à l’interdiction des écoles militaires. La promotion 1939 (Pinczon du Sel) est dispersée dans différentes unités de l’Armée de l’Air d’armistice, où ses membres poursuivent tant bien que mal leur formation. Dans ce cadre, certains se retrouvent déjà au Maroc et plus globalement en Afrique Française du Nord (AFN), notamment en Algérie, ce qui n’est guère surprenant étant donné la volonté d’y rapatrier les écoles militaires avant que la décision soit prise de cesser les combats. Après l’armistice, le gouvernement de Vichy entend néanmoins poursuivre la réalisation de ce projet. L’occupation d’une grande partie du territoire national par les Allemands laisse en effet bien peu d’infrastructures à l’armée d’armistice. L’essentiel des bases aériennes du Sud de la France se concentre sur la lutte contre les « agressions britanniques » (bataille de Mers-el-Kébir, le 3 juillet 1940). C’est ainsi que lors des réflexions concernant l’implantation des écoles de formation du personnel navigant, l’État Major de l’Armée de l’Air pense tout naturellement à l’AFN.
C’est l’Oranie qui est la destination privilégiée, notamment en raison de la présence déjà effective de l’École d’Istres, qui s’y était repliée avant l’armistice. L’État Major de l’Armée de l’Air propose d’y établir l’école des sous-officiers navigants. Quant à l’École de l’Air, il est finalement décidé de la conserver à Salon, dans la mesure où les infrastructures existent déjà. Il s’en est donc fallu de peu que Vichy décide d’installer Le « Piège » en AFN. Cependant, dans l’immédiat, les Allemands n’entendent pas laisser les Français former des Élèves Officiers, encore moins des pilotes. Le recrutement et la formation de la promotion 1940 (Steunou) se font donc dans la clandestinité. L’examen est secrètement organisé en zone libre et en AFN (à Alger pour les candidats résidant en Afrique du Nord), l’oral ayant lieu en décembre 1940 à Montpellier. Trente-neuf candidats sont reçus et incorporés sur la base de Toulouse-Francazal le 1er avril 1941. Parmi eux, plusieurs avaient tenté le concours de l’École Navale en 1939 et 1940 (Pierre Jarry, par exemple). Il est décidé de recevoir les 39 élèves, non pas à Salon-de-Provence, mais au Château de Bellevue, dans la région toulousaine, où le commandant Archaimbault a été chargé de mettre en place cette École clandestine. Elle prend le nom de Cours Spécial d’Élèves Officiers. On peut penser que le choix de Salon a finalement été abandonné pour ne pas éveiller les soupçons des Allemands.
Ce qui est désigné comme le « Piège clandestin » par les élèves s’étend d’avril à octobre 1941. Durant cette période, les élèves du Cours Spécial doivent se contenter d’un baptême de l’air, sous couverture civile, et de quelques rares vols de récompense sur Caudron Goéland. La formation est en effet essentiellement axée sur le sport, la discipline et des cours dispensés par des professeurs de Sup-Aéro (cette école s’étant repliée sur Toulouse). Certains historiens, notamment Claude Epezy d’Abzac, remettent toutefois en question le caractère clandestin de cette période de l’École, soulignant que les Allemands en connaissaient l’existence. De même, ils soulignent l’exagération de ce caractère clandestin par les officiers responsables, après la guerre, notamment de la part du commandant Archaimbault.
Ce n’est qu’à l’automne 1941 que les Français peuvent réinstaller officiellement l’École de l’Air à Salon-de-Provence. Les discussions avec la Commission allemande d’armistice (établie à Wiesbaden) permettent d’obtenir l’autorisation au cours de l’été, les conditions de la réinstallation de l’École ayant été établies dès juillet 1941.
Néanmoins, cette réinstallation se déroule sous contrôle étroit des commissions d’armistice (allemande et italienne), qui surveillent les effectifs concernés et le type de formation qu’ils reçoivent : l’Armée de l’Air ne pourra pas former plus de 120 Élèves Officiers au pilotage. L’École de l’Air est donc progressivement reconstituée à Salon-de-Provence.
Début septembre, la base doit d’abord accueillir le personnel n’ayant pu terminer sa formation en École et sert ainsi de centre d’entraînement temporaire. La formation de la promotion 1940 de l’École de l’Air doit démarrer au plus tard le 1er novembre (ce sera finalement mi-octobre), et il est prévu d’accueillir la promotion 1941 (Dagnaux) le 1er janvier 1942 (elle arrivera en février), le concours devant avoir lieu fin 1941.
A l’aube de l’année 1942, l’École de l’Air retrouve donc ses locaux, ses traditions et ses avions. Elle est alors commandée par le colonel de Sevin. Le baptême de la promotion Steunou, le 6 décembre 1941, est l’un des symboles de ce retour des traditions à Salon-de-Provence. Il est effectué en présence des généraux Bergeret, secrétaire d’Etat à l’Aviation, Romatet, chef d’État Major de l’Armée de l’Air, et de Geffrier, commandant de la 1ère Région Aérienne. Le parrain de la promotion, le lieutenant Steunou, est mort en combat aérien le 23 juin 1941 en Syrie, en s’opposant aux Français libres et aux Britanniques. Cette occasion se présente donc comme une grand-messe de l’Armée de l’Air de Vichy.
La reconstitution de l’École n’est cependant pas totale. Quand la promotion 1942 est accueillie à Salon-de-Provence en octobre de cette même année, les baraquements sont toujours provisoires et la place d’armes et le Bâtiment de la Direction de l’Enseignement (BDE, autrement appelé le « Grand Piège » par les élèves) sont toujours en chantier. L’opération Torch, le 8 novembre 1942, et l’invasion consécutive de la zone libre par les Allemands, le 11 novembre, ne laissent guère le temps à l’École de l’Air de retrouver une activité pérenne. Le 27 novembre, elle est à nouveau dissoute. Ses promotions sont alors dispersées, en particulier la promotion 1942 (Tricaud) qui venait à peine d’arriver.

Sources bibliographiques

Abzac-Epezy, Claude d’, L’armée de l’air de Vichy (1940-1944), SHAA, 1997.
Bieisse, Pierre, L’an quarante-deux, Le Piège, n° 104, mars 1986.
Cardot, Jean, Promotion Dagnaux 1941, Le Piège, n° 107, décembre 1986.
Delmer, Christophe, La promotion 39 dans la tourmente, Le Piège, n° 128, mars 1992.
Destefanis, Constant, « 9 octobre 1942 : l’arrivée à Salon », Le Piège, n° 95, décembre 1983.
Donné, Paul, Souvenirs de la tourmente, Le Piège, n° 130, septembre 1992.
Ehrengardt, Christian-Jacques, A la reconquête de la France, Aéro-journal n° 23, février 2002.
Facon, Patrick, Histoire de l’armée de l’Air, La documentation française, 2009.
Grigaut, GDA, L’École de l’Air, Revue Historique des Armées, hors série 1/1969.
Helye, Jean, Deux fois vingt ans, Le Piège, n° 95, décembre 1983.
Jarry, Jean, Jeunesse et montagne, 1940 – 1944, Le Piège, n° 193, mars 2008.
Jarry, Philippe, Des images sous les ailes - Un pilote de «Reco» de Toulon à l’Indochine (1938-1954), Éditions NEL, 2008.
L’illustration n° 5155, L’émouvant baptême de la promotion Steunou à l’École de l’Air, 27 décembre 1941.
Pestre, Albert, A quoi tient la vie …, Paris, Société des écrivains, 2005.
Robineau, Lucien, L’Armée de l’Air à la veille de la Seconde Guerre mondiale, n° 112, mars 1988.
Saint-Cricq, Maurice, 1942-1943 ou les tribulations d’un poussin de la Tricaud dans sa première année de « piège », Le Piège, n° 105, juillet 1986.

Sources dactylographiées (archives de l’École de l’Air)

Bombezin, Marcel, François Cazenave, capitaine-aviateur, 1921-1953, Rapport dactylographié, archives de l’École de l’Air.
Quarantième anniversaire à l’École de l’Air de la promotion « Tricaud », Rapport dactylographié, archives de l’École de l’Air, 1982.
Cinquantième anniversaire à l’École de l’Air de la promotion « Tricaud », Rapport dactylographié, archives de l’École de l’Air, 1992.
Promotion 1941 « Lieutenant – Colonel Dagnaux », Album promotion, archives de l’École de l’Air.

Sources archivistiques (Service Historique de la Défense - Département Armée de l’Air)

3 D 10 : Organisation de l’École de l’Air de Salon ; Août – Septembre 1941.
3 D 24 : Organisation des écoles et questions s’y rapportant ; 1940 – 1942.
3 D 25 : Organisation de Jeunesse et Montagne ; 1942 – 1944.
3 D 100 : École de l’Air de Salon ; 1941 – 1944.
3 D 101 : Jeunesse et Montagne ; 1941 – 1944.
3 D 285 : Organisation des écoles de l’Armée de l’Air - École de l’Air de Salon-de-Provence ; 1940-1943.
3 D 327 : Organisation de l’École de l’Air ; janvier-décembre 1941.
3 D 367 : Dossier 1-École de l’Air ; 1941 – 1944.
3 D 423 : Promotions 1941-1943 de l’École de Salon ; janvier-octobre 1942.
4 D 39 : Création et organisation des écoles de l’Aviation Française d’Afrique du Nord ; 1942-1943.

Élèves en partance pour Bordeaux en 1939
Le colonel Bonneau
Collioure

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