Christian BRUN, Guillaume MULLER, Yousra OUIZZANE
Centre de
Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France
Les
pérégrinations d’une École (août 1939-novembre 1942)
A partir d’août 1939, avec la
mobilisation, l’École de l’Air est condamnée au nomadisme et les promotions
sont dispersées au gré des événements. La promotion 1938, qui entame alors sa deuxième
année, se replie sur Bordeaux avec la plupart des représentations
gouvernementales. Cependant, le site ne peut pas accueillir l’ensemble des
arrivants et les élèves sont acheminés vers Bergerac, Mont-de-Marsan et Landes
de Bussac.
Toulouse, Château de Bellevue, promotion 1940 |
L’incorporation de la nouvelle
promotion, celle de 1939 (Pinczon du Sel), amène un peu de vie et d’espoir à
l’École. C’est donc au mois d’octobre que 229 élèves, accompagnés de leur drapeau
dont ils ont reçu la garde, intègrent la base aérienne de Bordeaux puis, dès
janvier 1940, qu’ils sont répartis en fonction de leur spécialité, soit à
Landes de Bussac, soit à Mérignac, soit au camp de Sousse.
Une partie de la Promotion Pinczon
du Sel rejoint Mont-de-Marsan où quelques-uns de la promotion 1938 poursuivent
leur entraînement.
En juin 1940, la promotion 1939
est à nouveau réunie à Bordeaux. Le colonel Bonneau, commandant de l’École de
l’air, reçoit l’ordre de replier l’École sur l’Afrique du Nord. Il part donc
pour l’Oranie afin de reconnaître les lieux. Mais, l’École ne pourra jamais
embarquer et se retrouvera sans chef au milieu de la débâcle générale, avec un
encadrement réduit. Elle sera alors acheminée vers le Roussillon. Tout d’abord
à Argelès-sur- Mer, puis à Port-Vendres et enfin à Collioure, au Château des
Templiers. Elle y restera jusqu’au 15 août 1940. Elle retournera brièvement à
Salon, puis sera dissoute le 31 août de la même année.
En novembre 1940, les
sous-lieutenants de la promotion 1939 effectuent un stage de trois mois dans différents
centres, dont certains sont situés en Afrique du Nord comme Marrakech, Rabat, Meknès,
Oran ou Sétif. Ainsi, pour les élèves de l’École de l’Air, commence alors une odyssée
qui se terminera quelques années plus tard en terre chérifienne.
L’École de l’Air n’a donc cessé
de déménager jusqu’à sa dissolution, le 31 août 1940, suite à l’interdiction
des écoles militaires. La promotion 1939 (Pinczon du Sel) est dispersée dans différentes
unités de l’Armée de l’Air d’armistice, où ses membres poursuivent tant bien
que mal leur formation. Dans ce cadre, certains se retrouvent déjà au Maroc et
plus globalement en Afrique Française du Nord (AFN), notamment en Algérie, ce
qui n’est guère surprenant étant donné la volonté d’y rapatrier les écoles
militaires avant que la décision soit prise de cesser les combats. Après
l’armistice, le gouvernement de Vichy entend néanmoins poursuivre la réalisation
de ce projet. L’occupation d’une grande partie du territoire national par les
Allemands laisse en effet bien peu d’infrastructures à l’armée d’armistice. L’essentiel
des bases aériennes du Sud de la
France se concentre sur la lutte contre les « agressions britanniques
» (bataille de Mers-el-Kébir, le 3 juillet 1940). C’est ainsi que lors des
réflexions concernant l’implantation des écoles de formation du personnel
navigant, l’État Major de l’Armée de l’Air pense tout naturellement à l’AFN.
C’est l’Oranie qui est la
destination privilégiée, notamment en raison de la présence déjà effective de
l’École d’Istres, qui s’y était repliée avant l’armistice. L’État Major de
l’Armée de l’Air propose d’y établir l’école des sous-officiers navigants.
Quant à l’École de l’Air, il est finalement décidé de la conserver à Salon,
dans la mesure où les infrastructures existent déjà. Il s’en est donc fallu de
peu que Vichy décide d’installer Le « Piège » en AFN. Cependant, dans
l’immédiat, les Allemands n’entendent pas laisser les Français former des
Élèves Officiers, encore moins des pilotes. Le recrutement et la formation de
la promotion 1940 (Steunou) se font donc dans la clandestinité. L’examen est
secrètement organisé en zone libre et en AFN (à Alger pour les candidats
résidant en Afrique du Nord), l’oral ayant lieu en décembre 1940 à Montpellier.
Trente-neuf candidats sont reçus et incorporés sur la base de
Toulouse-Francazal le 1er avril 1941. Parmi eux, plusieurs avaient tenté le
concours de l’École Navale en 1939 et 1940 (Pierre Jarry, par exemple). Il est
décidé de recevoir les 39 élèves, non pas à Salon-de-Provence, mais au Château de
Bellevue, dans la région toulousaine, où le commandant Archaimbault a été
chargé de mettre en place cette École clandestine. Elle prend le nom de Cours
Spécial d’Élèves Officiers. On peut penser que le choix de Salon a finalement
été abandonné pour ne pas éveiller les soupçons des Allemands.
Ce qui est désigné comme le «
Piège clandestin » par les élèves s’étend d’avril à octobre 1941. Durant cette
période, les élèves du Cours Spécial doivent se contenter d’un baptême de
l’air, sous couverture civile, et de quelques rares vols de récompense sur
Caudron Goéland. La formation est en effet essentiellement axée sur le sport,
la discipline et des cours dispensés par des professeurs de Sup-Aéro (cette
école s’étant repliée sur Toulouse). Certains historiens, notamment Claude
Epezy d’Abzac, remettent toutefois en question le caractère clandestin de cette
période de l’École, soulignant que les Allemands en connaissaient l’existence.
De même, ils soulignent l’exagération de ce caractère clandestin par les
officiers responsables, après la guerre, notamment de la part du commandant Archaimbault.
Ce n’est qu’à l’automne 1941 que
les Français peuvent réinstaller officiellement l’École de l’Air à Salon-de-Provence.
Les discussions avec la
Commission allemande d’armistice (établie à Wiesbaden)
permettent d’obtenir l’autorisation au cours de l’été, les conditions de la réinstallation
de l’École ayant été établies dès juillet 1941.
Néanmoins, cette réinstallation
se déroule sous contrôle étroit des commissions d’armistice (allemande et
italienne), qui surveillent les effectifs concernés et le type de formation
qu’ils reçoivent : l’Armée de l’Air ne pourra pas former plus de 120 Élèves Officiers
au pilotage. L’École de l’Air est donc progressivement reconstituée à
Salon-de-Provence.
Début septembre, la base doit
d’abord accueillir le personnel n’ayant pu terminer sa formation en École et
sert ainsi de centre d’entraînement temporaire. La formation de la promotion
1940 de l’École de l’Air doit démarrer au plus tard le 1er novembre
(ce sera finalement mi-octobre), et il est prévu d’accueillir la promotion 1941
(Dagnaux) le 1er janvier 1942 (elle arrivera en février), le concours devant
avoir lieu fin 1941.
A l’aube de l’année 1942,
l’École de l’Air retrouve donc ses locaux, ses traditions et ses avions. Elle
est alors commandée par le colonel de Sevin. Le baptême de la promotion Steunou,
le 6 décembre 1941, est l’un des symboles de ce retour des traditions à
Salon-de-Provence. Il est effectué en présence des généraux Bergeret,
secrétaire d’Etat à l’Aviation, Romatet, chef d’État Major de l’Armée de l’Air,
et de Geffrier, commandant de la 1ère Région Aérienne. Le parrain de
la promotion, le lieutenant Steunou, est mort en combat aérien le 23 juin 1941
en Syrie, en s’opposant aux Français libres et aux Britanniques. Cette occasion
se présente donc comme une grand-messe de l’Armée de l’Air de Vichy.
La reconstitution de l’École
n’est cependant pas totale. Quand la promotion 1942 est accueillie à Salon-de-Provence
en octobre de cette même année, les baraquements sont toujours provisoires et
la place d’armes et le Bâtiment de la Direction de l’Enseignement (BDE, autrement
appelé le « Grand Piège » par les élèves) sont toujours en chantier. L’opération
Torch, le 8 novembre 1942, et l’invasion consécutive de la zone libre par les
Allemands, le 11 novembre, ne laissent guère le temps à l’École de l’Air de
retrouver une activité pérenne. Le 27 novembre, elle est à nouveau dissoute.
Ses promotions sont alors dispersées, en particulier la promotion 1942
(Tricaud) qui venait à peine d’arriver.
Sources bibliographiques
Abzac-Epezy, Claude d’, L’armée
de l’air de Vichy (1940-1944), SHAA, 1997.
Bieisse, Pierre, L’an
quarante-deux, Le Piège, n° 104, mars 1986.
Cardot, Jean, Promotion
Dagnaux 1941, Le Piège, n° 107, décembre 1986.
Delmer, Christophe, La
promotion 39 dans la tourmente, Le Piège, n° 128, mars 1992.
Destefanis, Constant, « 9
octobre 1942 : l’arrivée à Salon », Le Piège, n° 95, décembre 1983.
Donné, Paul, Souvenirs de la
tourmente, Le Piège, n° 130, septembre 1992.
Ehrengardt, Christian-Jacques, A
la reconquête de la France ,
Aéro-journal n° 23, février 2002.
Facon, Patrick, Histoire de
l’armée de l’Air, La documentation française, 2009.
Grigaut, GDA, L’École de
l’Air, Revue Historique des Armées, hors série 1/1969.
Helye, Jean, Deux fois vingt
ans, Le Piège, n° 95, décembre 1983.
Jarry, Jean, Jeunesse et
montagne, 1940 – 1944, Le Piège, n° 193, mars 2008.
Jarry, Philippe, Des images
sous les ailes - Un pilote de «Reco» de Toulon à l’Indochine (1938-1954),
Éditions NEL, 2008.
L’illustration n° 5155, L’émouvant
baptême de la promotion Steunou à l’École de l’Air, 27 décembre 1941.
Pestre, Albert, A quoi tient
la vie …, Paris, Société des écrivains, 2005.
Robineau, Lucien, L’Armée de
l’Air à la veille de la
Seconde Guerre mondiale, n° 112, mars 1988.
Saint-Cricq, Maurice, 1942-1943
ou les tribulations d’un poussin de la Tricaud dans sa première année de « piège »,
Le Piège, n° 105, juillet 1986.
Sources dactylographiées
(archives de l’École de l’Air)
Bombezin, Marcel, François
Cazenave, capitaine-aviateur, 1921-1953, Rapport dactylographié, archives
de l’École de l’Air.
Quarantième anniversaire à
l’École de l’Air de la promotion « Tricaud », Rapport dactylographié,
archives de l’École de l’Air, 1982.
Cinquantième anniversaire à
l’École de l’Air de la promotion « Tricaud », Rapport dactylographié,
archives de l’École de l’Air, 1992.
Promotion 1941 « Lieutenant
– Colonel Dagnaux », Album promotion, archives de l’École de l’Air.
Sources archivistiques (Service
Historique de la Défense
- Département Armée de l’Air)
3 D 10 : Organisation de
l’École de l’Air de Salon ; Août – Septembre 1941.
3 D 24 : Organisation des
écoles et questions s’y rapportant ; 1940 – 1942.
3 D 25 : Organisation de
Jeunesse et Montagne ; 1942 – 1944.
3 D 100 : École de l’Air de
Salon ; 1941 – 1944.
3 D
101 : Jeunesse et Montagne ; 1941 – 1944.
3 D 285 : Organisation des
écoles de l’Armée de l’Air - École de l’Air de Salon-de-Provence ; 1940-1943.
3 D 327 : Organisation de
l’École de l’Air ; janvier-décembre 1941.
3 D 367 : Dossier 1-École de
l’Air ; 1941 – 1944.
3 D 423 : Promotions 1941-1943
de l’École de Salon ; janvier-octobre 1942.
4 D 39 : Création et
organisation des écoles de l’Aviation Française d’Afrique du Nord ; 1942-1943.
Élèves en partance pour Bordeaux en 1939 |
Le colonel Bonneau |
Collioure |
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