jeudi 16 avril 2015

L’École de l’Air pendant la Deuxième Guerre mondiale : de Salon à Marrakech (4)

Les anciens élèves ont la parole :
la promotion 1944 AFN « Lieutenant Charles De Tedesco »

Christian BRUN, Guillaume MULLER, Yousra OUIZZANE
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

Pendant que la promotion 1943 AFN « transpire des ailes », aux USA, deux classes préparatoires au concours de l’École de l’air sont mises en place : la première à Miliana près d’Alger, la seconde à Casablanca au Maroc. Après une sélection portant sur 300 candidats, 24 sont admis pour intégration dans la nouvelle promotion. Comme pour la précédente, le voyage en train jusqu’à Marrakech est le passage obligé pour tous ces futurs « poussins » et il se fait également dans des conditions spartiates. Les élèves, entassés dans des wagons à bestiaux, couchent sur le plancher à claires-voies avec tout leur paquetage. Ils sont accompagnés de légionnaires. De nombreux arrêts scandent le voyage et cassent la monotonie et la lenteur d’une machine qui a beaucoup de mal à tirer ses wagons. Pendant trois jours ces drôles de voyageurs visitent la plaine de Chélif, la Mitidja, la plaine d’Oujda, et arrivent enfin à la frontière marocaine. El Aïoun, Taourirt, Guercif, autant de « capitales » qui sont alors traversées en terre chérifienne. Pendant ce voyage, les futurs élèves tuent le temps, en discutant et en échangeant avec la population locale ou en achetant quelques produits de bouche. La suite du voyage jusqu’à l’École est très calme et sans incident.

Entraînement au tir à la mitrailleuse photo sur Morane-Saulnier


Le dernier tronçon jusqu’à Marrakech est effectué en train dans une vraie voiture, en troisième classe, sous la responsabilité du sergent-chef Rateau, ancien commando parachutiste spécialement venu de Casablanca et qui passera adjudant quelques temps plus tard. Rassemblée en « détachement d’élèves-officiers », la promotion fait donc son entrée au « Piège » le 24 juillet 1944. Le lieutenant Le Mouroux, un des deux brigadiers, issu de la promotion 1937, attend les jeunes recrues pour leur souhaiter la bienvenue en langage militaire. Le temps d’adaptation est court. Les élèves prennent possession des chambres, des douches et découvrent le mess en l’espace de quelques heures. Afin de les occuper, le commandement a la bonne idée de leur faire visiter la base et surtout leur donne l’autorisation d’approcher les avions qui sont en bout de piste.
Les élèves ravis découvrent les C-47 Dakota, les C-46 Commando, les Fortress B-17, les Lightning P-38 et les Mustang P-51, c’est-à-dire l’Amérique et toutes ses splendeurs. Mais, après la découverte de tous ces trésors, ce sera également, pour les futurs élèves pilotes, le premier contact avec la police militaire américaine qui, sans ménagement, les fait monter (17 poussins) dans la Jeep ou plutôt sur la Jeep pour les amener au poste et les entasser derrière les barreaux d’une prison improvisée. Ils sont délivrés par un officier français et le service de semaine et sont ramenés dans leurs pénates au pas cadencé, sous le soleil. Inutile de mentionner que la réception n’est pas des plus courtoises et que l’amabilité du brigadier constatée à l’arrivée a alors complètement disparu !
Pour explication, l’autorisation d’approcher les avions ne vaut que pour les quelques A-24 et Cessna qui avaient très mal vieilli et certainement pas les avions américains destinés à décoller pour assurer les opérations de guerre. Le 25 juillet, les élèves sont présentés au commandant Bézy, commandant de l’École, que certains connaissent déjà pour l’avoir croisé à Madrid où il était chargé du recueil et de la mise en route des évadés de France. C’est un homme affable et plein de bienveillance qui, après le départ de la promotion 1944 AFN, va rapatrier l’École à Bouffémont dans le Val d’Oise. Puis c’est l’arrivée d’un nouveau brigadier, le capitaine Manfroy de la promotion 1936 et celle d’un nouveau commandant en second, le capitaine Bouton de la promotion 1935.
L’encadrement est maintenant au complet et les festivités militaires peuvent alors commencer. Ce programme n’est pas différent de celui qu’ont connu leurs aînés. Tout d’abord, les élèves sont équipés, ensuite une période de classes est prévue dans un camp de montagne, puis ils passeront par le Centre d’instruction de l’école militaire pour y apprendre l’aéronautique et enfin les personnels navigants passeront leur brevet de navigateur-bombardier avant de partir pour les USA.
Le jour du départ pour le camp de montagne arrive. Les élèves sont rassemblés avec armes et paquetage au complet. L’embarquement pour Asni se fait dans des camions. La piste d’accès est caillouteuse et quasiment impraticable. Après un gué un peu boueux, Ahroun apparaît enfin. Les élèves logent sous la tente et en brigade. Pendant les six semaines du séjour, ils sont formés à l’école du fantassin. Tirs à blanc, tirs réels, tirs au mortier, marches dans le djebel, montage et démontage des armes, sont les tâches quotidiennes de la promotion.
Les souvenirs les plus marquants sont, sans aucun doute, les courses en montagne, où parfois pendant 8 heures les élèves grimpent les pentes avec, bien évidemment, tout le barda sur le dos. L’ultime épreuve est le Toubkal qui, du haut de ses 4165 mètres, regarde les poussins de la plus petite et de la plus atypique promotion du « Piège » crapahuter pour aller recueillir les galons de la gloire.
L’avant-dernière semaine du séjour est marquée par un orage terrible. L’oued grossit et emporte tout sur son passage. Lorsque les élèves, effrayés par le bruit, regardent en contrebas, le gué a disparu. A la place se trouve à présent un torrent de boue et de rochers. C’est ainsi que les poussins vont attendre des temps plus cléments dans le froid et l’humidité. Lorsque l’oued retrouve son lit, ils peuvent alors redescendre et retrouver l’École où les attendent des repas chauds et, bien évidemment, un lit bien sec. En guise de récompense pour tous les exploits accomplis pendant cette odyssée, le commandement octroie alors un quartier libre. Les élèves en profitent pour se rendre à la célèbre Jemaa El Fna où se trouve un centre actif de ravitaillement. Certains se rendent également au centre de Guéliz tout près du camp Mangin pour acheter tout ce qui paraît, à cette époque, nécessaire et vital à un élève de 20 ans. Peu à peu, ces quartiers libres permettent aux « poussins » d’étendre leur champ de sortie jusqu’à La Mamounia pour déguster un porto, lorsque l’état de leur finance le leur permet.
Peu après le périple d’Arhoun, les résultats de l’examen de fin de peloton sont annoncés. Des grades récompensent les efforts, mais le commandement n’est pas vraiment généreux. Ainsi, un seul est nommé sergent et quatre ou cinq sont promus caporaux. Enfin, l’enseignement aéronautique commence et les élèves rejoignent le Centre d’instruction pour apprendre les bases du métier. Ils sont présentés au commandant des Écoles, le colonel Dartois, qui avait commandé « le Piège », et au capitaine Le Goaster, qui commande la Division d’instruction en vol (DIV).
Les cours au sol commencent donc en septembre, cours pendant lesquels les élèves approfondissent des matières comme l’orthodromie, la loxodromie, le point astro, les vitesses, la simulation, le bombardement, la géométrie et autres disciplines toutes aussi théoriques les unes que les autres. Ces temps studieux s’écoulent au rythme des amphis, des tours de consigne, des rapports, des rassemblements et des quartiers libres. Et puis, vers la fin octobre, les premiers arrivants de la promotion 1942 (Tricaud) se présentent. Ces derniers estiment alors détenir le droit de paternité, c’est-à-dire le droit de transmettre les traditions à l’ensemble de la promotion et c’est ce qu’ils font.
Comme si cela ne suffisait pas, la promotion 1944 AFN voit aussi arriver une horde de pompiers-fusiliers habillés en bleu. Ce sont ceux de la 1943 France qui eux aussi revendiquent le droit d’éduquer les « poussins ». Ainsi, cette deuxième promotion Afrique du Nord est donc parfaitement encadrée par ses aînés pour commencer l’incontournable « bahutage ». Inutile de mentionner que ce passage obligatoire a semblé très long et très pénible à l’ensemble des poussins, même si l’esprit de cohésion était déjà bien présent.
Enfin la période des vols commence. Mais les effectifs ayant gonflé du fait de l’arrivée des « anciens », il faut se partager les séances, ce qui bien évidemment frustre bon nombre de « poussins » de la promotion 1944 AFN. Cette situation s’améliore lorsque ceux de la promotion 1942, le 28 novembre, se mettent en route pour Casablanca afin de rejoindre le fameux Centre de préparation du personnel navigant (CPPN), antichambre du CFPNA situé aux États-Unis.
Pour les « poussins », c’est la tranquillité retrouvée et l’assurance de pouvoir voler plus facilement. à la même époque, les élèves sont convoqués pour parler de leur avenir avec le commandement. Pour les huit élèves pilotes, les choses sont claires : ils seront dirigés vers les États-Unis. Sur les seize restants, trois seront des futurs officiers mécaniciens et treize, beaucoup moins motivés, seront mutés dans divers pelotons d’officiers de réserve, pour ensuite, soit poursuivre des préparations à d’autres grandes écoles, soit être démobilisés, soit continuer leurs études dans les universités comme Paris ou encore Alger. Ainsi, la promotion se disloque et, en décembre 1944, les élèves de la promotion ne sont plus que huit à poursuivre les cours et les vols d’apprentissage à Marrakech.
Pendant tout le mois de décembre les huit rescapés volent sur Cessna C-78 et sur Wellington. Ils tiennent tour à tour la place de navigateur-plotteur, de navigateur-observateur et de navigateur-secrétaire. Les trajets sont toujours les mêmes : Marrakech-Settat-Berrechid-Marrakech, ou Marrakech-Safi-Mogador-Marrakech. Le terrain attitré est celui de Sidi Zouine, qui est un terrain auxiliaire. Les élèves en sont pratiquement à 40 heures de vol lorsqu’un ordre de mouvement pour Agadir survient au mois de décembre : ils doivent effectuer le stage de mitrailleur. Ainsi, au début du mois de janvier 1945, ils vont effectuer un stage de tir aérien. Ils voyagent en car de Marrakech à Agadir. Ce trajet leur laisse le souvenir impérissable d’un pique-nique constitué de rations distribuées sous les remparts de Mogador (Essaouira).
L’ambiance est au rendez-vous à Agadir. Ceci est principalement dû au fait que les élèves profitent de leur séjour pour effectuer, sur place, des vols quotidiens tant attendus. Le moral est alors au beau fixe, et ils ont enfin l’impression d’appartenir à la grande famille de l’Armée de l’Air. Les élèves sont aussi formés au tir à la mitrailleuse photo sur des Morane-Saulnier 315. Ils sont positionnés en place arrière et simulent alors des tirs sur un autre avion considéré comme « ennemi ». Pour eux, cet exercice, qui leur permet de sortir des salles de cours, est considéré alors comme un apprentissage, certes opérationnel, mais en somme « amusant ». Ces manœuvres s’effectuent également sur des avions de type Wellington ou éventuellement plus légers, qui remorquent des cibles dans lesquelles il ne faut surtout pas faire de trous (celui qui fait un trou paye alors l’apéritif). Les souvenir des vols sur Wellington ne manquent pas, notamment à cause de la tourelle arrière. En effet, une douche de liquide hydraulique sur la combinaison des élèves n’est pas rare, ce qui, bien évidemment, a pour effet immédiat les moqueries de l’ensemble des camarades. Un autre souvenir d’Agadir reste gravé dans la mémoire de ces élèves apprentis pilotes. Le lieutenant Le Mouroux a pour « coutume » d’offrir aux « poussins » de nouvelles expériences aéronautiques. Lorsqu’il pilote, il a la fâcheuse habitude, au moment propice, de piquer puis de redresser pour coller le passager au siège et effectue ensuite une superbe « visée » en rase motte sur le désert. Ces images marquent les jeunes hommes qui, bien évidemment, sont plus que surpris sur le moment, mais cette expérience alimente ensuite leur émerveillement sur les techniques de vol.
Autre évènement significatif, pendant cette période, c’est la peur de la population provoquée par les exercices des « poussins ». Une nuit, à Agadir, les élèves doivent effectuer une séance de tir. Dès le début des hostilités, la manœuvre déclenche alors une panique en ville : les habitants pensant à un débarquement allemand. Cette « peur dans la cité » a bien évidemment beaucoup amusé les « fauteurs de trouble ». Cette dizaine de jours à Agadir se finit sur une note festive.
Une panne sur le chemin du retour du coté de Sidi-Zouin permet alors d’entretenir quelques contacts avec la population, contacts qui ne sont pas pour déplaire aux élèves et aux cadres. En effet, pendant que le forgeron local aide à la réparation du véhicule, les « poussins » sont invités dans le village pour se voir servir un rafraîchissement et quelques collations près de la résidence de l’administrateur de la ville. Dès le retour d’Agadir, des examens de tous types s’accumulent, écrits et oraux, les élèves sont alors sous pression car personne n’est assuré d’être reçu. Après les oraux, qui se déroulent sous forme de « colles » dans une grande pièce, face à un examinateur impressionnant, c’est le passage devant le « patron », le commandant Bézy. Pour la promotion 1944 AFN, tout s’est parfaitement déroulé et tout le monde a obtenu le droit de poursuivre sa formation de pilote.
Puis le baptême de la promotion arrive. Il se déroule en même temps que celui de la promotion 1943 France (promotion René Pomier Layrargues). Les huit qui composent la « Charles de Tedesco » se sentent alors un peu perdus à côté de la quarantaine d’élèves de la « Pomier ». Mais, pour les « poussins », les pensées vont, à cet instant, vers les trois camarades mécaniciens qui ne pourront pas participer à la fête et qui seront donc baptisés par contumace. Bien évidemment, ce baptême conjoint s’est terminé à La Mamounia où les « officiers » ont festoyé tard dans la nuit.
Le 1er février, le commandement distribue les certificats provisoires qui autorisent les élèves à porter enfin les galons d’aspirant. Puis, 4 jours plus tard, c’est le départ pour Casablanca où les « apprentis pilotes » vont rejoindre le Centre de préparation du personnel navigant. Pour certains, c’est une sorte de retour aux sources puisqu’ils retrouvent le camp Cazes et le colonel Bouyer qui commande le CPPN.

Le séjour ne durera qu’une petite semaine pendant laquelle toutes les formalités administratives sont accomplies et notamment la distribution des passeports avec visa américain. Le 12 février 1945, les rescapés de la « de Tedesco », embarquent pour les États-Unis, sur le Liberty Ship William B. Giles, sous la responsabilité du capitaine Constant Albert. Ils rejoignent le Centre de formation des personnels navigants formés en Amérique. Ainsi s’achève, avec cette promotion, l’histoire du Piège marocain qui n’aura duré que 18 mois, mais qui, 70 ans après, reste toujours présente dans les esprits.


Les aviateurs-pompiers de la promotion 1943 France

Bivouac au refuge de Neltner (3100 m)




2 commentaires:

  1. J'habitais Marrakech ces années là, et je me souviens très bien de l'arrivée de ces jeunes pilotes qui mettaient de la vie au Guéliz et ou les jeunes filles les retrouvaient le soir pour danser a la Mamounia- mais gare aux M.P. qui ne craignaient pas d'user de leur matraque s'il fallait intervenir...

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    1. Merci pour ce témoignage et pour cette plongée dans l'histoire de l'Armée de l'air.

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