vendredi 24 avril 2015

L’Ecole de l’Air doit posséder de puissants moyens d’instruction

Il y aurait intérêt à ce que les programmes soient allégés et le standing de la direction technique accru
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Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

Nous proposons aux lecteurs cet article paru dans la revue Les Ailes, N° 768 du 5 Mars 1936. La première promotion de l’Ecole de l’Air a rejoint Les Petites Ecuries à Versailles à l’automne de l’année précédente. L’accent est mis ici sur le retard mis par les entrepreneurs à Salon-de-Provence, sur le choix de Versailles et sur les conséquences de ce choix sur la qualité des cours et sur la disponibilité des enseignants. L’auteur déplore également l’absence parmi les personnels de la direction de l’école d’un ingénieur d’un grade élevé ou d’un technicien reconnu.
 
Promotion 1935 de l'Ecole de l'Air à Versailles

Le fonctionnement de l’Ecole de l’Air donne lieu à quelques observations. Nous les formulons avec le souci d’aider la grande école a bien accomplir la mission primordiale qui est la sienne. Tous les moyens doivent lui être fournis sans réticence et sans retard.
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 Il est encore trop tôt pour juger les méthodes et les résultats que l’Ecole de l’Air obtiendra pour instruire la soixantaine d’élèves-officiers du recrutement direct. La première promotion donne le meilleur espoir à ses instructeurs. Nous continuons toutefois à penser que l’ouverture de l’Ecole à Versailles a été une erreur technique dont les répercussions sur la qualité des officiers seront nombreuses. On nous affirme que l’étude du transfert de l’Ecole à Salon-de-Provence continue. Soit. Tout de même, rien ne sort de terre, du moins à notre connaissance.

Versailles ne suffira point

Nous sommes particulièrement renseignés sur les grandeurs, le faste, l’extraordinaire puissance des moyens techniques accumulés par les Allemands dans l’Ecole de l’Air ouverte récemment près de Berlin. Nous notons donc avec anxiété que le point de départ du système de formation  des officiers-aviateurs français et du système allemand se traduit par une nette infériorité du système français. Cela implique des responsabilités précises que nous ne perdrons pas de vue et que nous rappellerons à l’occasion.
Certes, nous devons dire qu’à Versailles, avec un million de réparation on a fait ce que l’on pouvait pour améliorer les vieux bâtiments des « Ecuries du Roi ». On a donné une certaine allure aux greniers ! Les jeunes élèves officiers ont de coquettes chambres à trois lits, lavabos modernes, salles de jeux, etc. Mais cela ne suffit point. A une moderne école de l’Air, il faut des moyens pédagogiques, scientifiques, techniques et aériens variés et concentrés, toutes conditions que Versailles réunit très imparfaitement. Il lui faut également de puissants moyens d’instruction aérienne, soit la possibilité d’effectuer environ 20. 000 heures de vol par an. Enfin, il est bon que les élèves soient plongés dans l’ambiance de la piste. Villacoublay et ses annexes ne réunissent aucune de ces conditions. La piste y est surencombrée. Située à 6 kilomètres de Versailles, elle oblige à une navette incessante, très pernicieuse à la régularité et au rendement du travail.
Le transfert à Salon-de-Provence reste donc une impérieuse nécessité. Pourquoi Salon ? Pour la simple raison que voici :
Sur la discussion de M. Pierre COT, des engagements avaient été pris. Le Général Denain ne les a pas tout d’abord suivis. Puis sur ordre du ministre les études ont été reprises par l’Inspecteur des Ecoles et le Service des Travaux. Elles sont à peu près au point. Elles peuvent aboutir. Or, maintenant, c’est l’état-major général qui, sous des prétextes fallacieux démolit le projet. Quelle anarchie dans les idées. Elle doit cesser au plus tôt !

Des cours surchargés

Cela dit, nous voulons attirer l’attention sur quelques particularités s’appliquant au cours des officiers-élèves. Elles ne sont point très graves mais présentent cependant un certain intérêt.
Les cours des officiers-élèves sont nettement trop nombreux et trop chargés. Ils se chevauchent de façon plus ou moins désordonnée et sollicitent l’attention dans de multiples directions, mais ne la retiennent point.
Alors que l’Aviation fournit dans son domaine propre technique et tactique, d’abondantes matières, on a commis l’erreur d’ajouter l’enseignement simultané de plusieurs langues : allemand, anglais, italien et arabe, ainsi que des cours d’histoire de géographie et de littérature.
Qui trop embrasse mal étreint. Or les officiers auxquels s’appliquent ces cours sortent de Saint-Cyr, de l’Ecole Polytechnique ou de l’Ecole Navale. Que peuvent tirer de quelques leçons de langues étrangères des élèves surmenés ? Rien ! Et n’auront-ils pas le temps d’acquérir des rudiments de langues si les circonstances de leur carrière l’imposent ? Ils avouent eux-mêmes qu’après dix leçons d’arabe ils sont incapables de sortir une phrase correcte de cette langue difficile.
La géographie aérienne pourrait peut être présenter quelque intérêt, mais il semble qu’une ou deux conférences suffiraient à en donner la substance. La pratique de la navigation faisant le reste. Quant à l’histoire et la littérature (on recommence de A à Z comme au collège), ce sont là des choses déjà vues et parfaitement inutiles en l’occurrence. Elles enlèvent aux élèves des heures précieuses pour l’étude de leurs cours aéronautiques proprement dits.
Et tout ceci s’applique, dans une large mesure, aux cours des sous-officiers élèves officiers.

Soignons les professeurs

Autre point : la direction du corps enseignant. Tandis qu’à l’Ecole Navale, par exemple, les professeurs sont d’importants personnages, les professeurs de l’Ecole de l’Air sont des officiers que l’on juge disponibles pour toutes les besognes, sans se soucier des commodités que réclame leur enseignement. On a vu des officiers de garde à Villacoublay, qui après avoir divagué nuitamment au travers du terrain pour des fonctions de surveillance, devaient, le lendemain, à la première heure, faire des cours importants. L’Ecole de l’Air impose elle-même à ses professeurs des services de semaine ou de nuit incompatibles avec leur mission. Ils doivent assurer des interrogations et des corrections de copies.
Or, la plupart d’entre eux sont chargés d’enseigner des matières scientifiques ou techniques. Ils pourraient revendiquer, à bon droit, les mêmes considérations et les mêmes avantages que les professeurs de lycées ou de facultés. La preuve en est que, pour certains cours, l’Ecole de l’Air a dû faire appel à des professeurs civils. Comme on le pense, ces professeurs restent strictement dans leurs fonctions normales … et ne prennent point la garde !
Enfin, dernier détail. Nous nous étonnons que , parmi le haut personnel de direction de l’Ecole, on ne trouve point, pour la partie scientifique et technique, un ingénieur d’un grade élevé ou un technicien hautement coté dans les milieux de l’enseignement. Il suffit de parcourir la liste des professeurs de l’Ecole Polytechnique ou de l’Ecole Centrale pour regretter le manque de « standing » de la direction de l’enseignement technique à l’Ecole de l’Air. Cependant, c’est pour réagir contre l’insuffisance de Saint-Cyr à l’égard de cet enseignement que l’Ecole de l’Air a été créée. C’est pour cela que nous avons ici même, avec une petite équipe d’officiers d’un profond désintéressement, fait une longue campagne en sa faveur.
Il est donc dit qu’en France toutes les belles organisations ne tourneront jamais aussi bien qu’elles le pourraient. Sous la grandeur des intentions, on ne trouve trop souvent que la misère des réalisations.
L’amélioration du fonctionnement de l’Ecole de l’Air est, en tout cas, un de ces problèmes de bonne administration, auquel M. Marcel Déat pourra appliquer les clartés de son intelligence et son goût de l’action.

A. L.

Carte postale de Salon-de-Provence représentant un aviateur

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