En 1983, le
lieutenant-colonel David J. Dean (United States Air Force) remet sur le devant
de la scène la doctrine de l’Air Control,
élaborée durant l’entre-deux-guerres pour le contrôle de l’empire colonial
britannique, et qui repose en grande partie sur l’aviation. Cette doctrine,
codifiée au milieu des années 1930, fait la synthèse des pratiques réalisées
dans l’outre-mer britannique par la Royal
Air Force depuis la fin de la Grande Guerre.
L’Air Control prend ses origines au
Somaliland en 1920 avec l’intervention contre le « Mad Mullah », qui
semait le désordre dans la région depuis plus de 15 ans. Le succès, obtenu en
trois semaines et pour un coût très réduit, a fait prendre conscience de
l’intérêt de l’avion comme outil de contrôle impérial. La pratique alors en
vigueur depuis le XIXe siècle, incarnée par les colonnes punitives, est
remise en question. La RAF
peut ainsi se trouver une mission singulière afin de garantir son indépendance,
acquise en 1918, et menacée par la démobilisation et les coupes budgétaires
attenantes. Forte des arguments du coût, de l’efficacité et de la rapidité
d’intervention, la RAF
milite donc pour obtenir le premier rôle dans la défense des autres colonies.
L’argument
économique ayant été particulièrement entendu par la classe politique, l’expérience
du Somaliland va être directement appliquée à Aden et en Irak. C’est d’ailleurs
en Irak que l’Air Control va prendre
son véritable essor avec, en 1922, la nomination pour le commandement suprême
de l’air marshal John Salmond. C’est la première fois qu’un aviateur assume une
telle responsabilité. Il est intéressant d’observer que, dans le cas de la France, il faut attendre
fin 1958 et la nomination du général Challe en Algérie pour observer une
situation comparable.
Le
lieutenant-colonel Dean, et ceux qui l’ont suivi dans « l’exhumation »
de l’Air Control, y a vu un modèle à suivre pour que l’USAF
obtienne la primauté dans les conflits irréguliers contemporains. Ce faisant,
il a cependant véhiculé une vision idéalisée de l’Air Control, dans laquelle la RAF se suffisait pratiquement à elle-même. James
S. Corum, historien et ancien lieutenant-colonel de réserve de l’armée
américaine, est fermement revenu sur ce « mythe de l’Air Control », dénonçant une vision partielle de cette
doctrine, tout en étudiant comment cette vision s’est construite depuis
l’entre-deux-guerres.
La réalité de l’Air Control, c’est que, sauf pour
quelques opérations limitées de police coloniale, la RAF est toujours intervenue en
soutien aux troupes au sol. Jamais l’aviation seule n’a pu mettre fin aux
insurrections sérieuses rencontrées par les Britanniques, en particulier en
Irak.
Pour justifier
sa position privilégiée outre-mer, la
RAF a défendu le fait que quelques escadrons permettaient de
remplacer les traditionnelles garnisons impériales. C’est oublier que, s’il n’y
avait plus en effet, en Irak par exemple, de troupes britanniques
métropolitaines, il y avait en revanche un embryon d’armée irakienne, financé
par le budget du royaume irakien (sous mandat britannique jusqu’en 1932), et
quelques brigades de l’armée des Indes, entretenues par le budget des Indes. Ce
n’est donc pas parce que le citoyen britannique avait le sentiment de moins
contribuer à l’effort impérial grâce à la RAF que l’aviation était dans les faits la seule
à œuvrer sur le terrain.
Cette vision
idéalisée de l’Air Control semble prisonnière de la propagande de la RAF, qui s’est servi de son
activité coloniale pour justifier son indépendance. Cela s’est traduit par une
mise en avant de l’activité aérienne, qui s’est nécessairement faite au
détriment de l’action terrestre, pourtant toujours présente, sauf cas très
limités. D’autre part, les aspects « humanitaires » mis en avant quant
à la précision de l’action aérienne oublient la qualité du ciblage durant la
période de l’entre-deux-guerres. Dans les confins de l’empire, l’aviation n’a
parfois fait que remplacer les expéditions punitives, avec la même coercition.
L’Air Control est, inéluctablement, dans
cette vision idéalisée, chère aux yeux des aviateurs d’hier et d’aujourd’hui,
en tant que doctrine pouvant symboliser le « tout aérien ». Mais
attention à ne pas solliciter, à tort, le passé pour justifier des choix présents.
James S. Corum insiste bien sur le fait que l’Air Control peut être riche d’enseignements sur l’emploi de
l’aviation en contre-insurrection, mais certainement pas pour une action
aérienne autosuffisante dans ce type de conflits. Enfin, il est intéressant de
noter la continuité historique au niveau de certains territoires concernés par
l’Air Control d’hier et
d’aujourd’hui, notamment l’Irak et la frontière nord-ouest des Indes
(aujourd’hui frontière afghano-pakistanaise).
Dean, David J., (lieutenant-colonel), « Airpower in Small Wars. The British Air Control Experience », Air University Review, juillet-août 1983.
Guillaume MULLER
Centre de Recherche
de l’Armée de l’air (CReA), École de l’Air, 13 661, Salon Air, France
Comparaît la nomination du Gal Challe n'est pas très approprié. En effet, le Gal de Gaulle président de la V° République -depuis octobre 1958-, voulait marquer un grand coup (et surtout éliminer Salan chef de l'Armée française en Algérie qualifié par le fondateur de cette V° République de "Sybarite"!). Challe a surtout révolutionné la conduite de la pacification en instituant les commandos de chasse qui allaient dynamiser les troupes de secteur de l'AdT.
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