jeudi 25 juin 2015

Le « Grand Zef »

Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

Le mois de juillet 2015 approche, et avec lui, bien évidemment, le baptême des promotions à l’Ecole de l’air qui se déroulera le vendredi 3 sur la Base aérienne 701. Il nous a paru intéressant de donner au lecteur un aperçu des activités et des éléments de tradition qui ont ponctué cette même cérémonie en juillet 1939. On peut souligner que la philosophie d’ensemble n’a pas changé. Il est toutefois intéressant de remarquer que cette tradition a été probablement empruntée à Saint-Cyr, ce qui paraît logique puisque les deux premières promotions qui ont inventé les premières traditions, étaient logées aux Petites Ecuries à Versailles, c'est-à-dire à proximité immédiate de l’Ecole de Saint-Cyr et qu’une partie des cadres de ces promotions était issue de l’Armée de Terre.  



Cent-dix « Poussins » ont été consacrés dans l’enthousiasme à la grandeur de l’Aviation française

A l’Ecole de l’Air de Salon, ouverte en 1937, une tradition vient d’être créée. Sa naissance donna lieu à une fête et à une cérémonie infiniment réconfortante. Les « Poussins » sauront remplacer leurs aînés.

Les Ailes N° 945 du 27 juillet 1939 page 5

Istres, juillet 1939

J’ai vécu à Salon-de-Provence, des heures chargées d’émotions diverses. Essayons de les traduire.
J’allais à Salon pour étudier le fonctionnement de l’Ecole et pour assister au « Grand Zef », c'est-à-dire à la fête montée à l’occasion du baptême de la promotion achevant la première année. Allais-je trouver l’atmosphère souhaitée pour la plus grande école d’aviation de France qui, dans le cours de l’histoire future, pèsera d’un poids considérable dans le destin aérien de notre pays ? Je n’ai pas été déçu ! Il n’est d’ailleurs qu’à laisser parler le spectacle de ce jour mémorable du 17 juillet.

Les « Poussins » ont grande allure

Il comportait, ce spectacle, plusieurs éléments distincts : une revue, un divertissement aéro-théâtral, le baptême de la promotion qui devait en être la pièce centrale, une soirée.
La Promotion compte cent dix-huit « Poussins ». C’est elle qui en construisant toute la fête de ses propres mains, avec à-propos et intelligence, a véritablement inauguré la tradition du « Grand Zef ». Pendant huit jours, sans interruption du service, chaque jeune « Poussin » mania le marteau et le pinceau pour monter un bar d’escadrille et le décorer de dessins amusants à la manière de Marcel Jeanjean, pour aménager un vaste hangar, pour électrifier le tout et construire maints décors.
Une centaine d’avions de tous modèles amenés par les visiteurs de l’Armée de l’Air, formaient un décor de piste approprié. De nombreuses personnes vinrent des environs, et un soleil vif souriait dans le ciel de Provence.
La revue que passa le Général Mouchard me fut une première occasion pour prendre un contact visuel avec les « poussins ». Ils ont une belle allure physique et militaire qui est le résultat d’un entraînement très poussé et assez rude. On fait d’eux, à Salon, des aviateurs mais aussi des soldats. Ils sont de taille moyenne et le feu sacré les anime. Ils défilent assez bien pour descendre les Champs-Élysées le 14 juillet 1940
Le général Mouchard remit la Cravate de Commandeur au colonel Bonneau, Commandant de l’Ecole de Salon. Je ne voudrais pas heurter la modestie de ce chef éminent et sympathique. Je soulignerai toutefois qu’il a réussi dans une tâche difficile. On ne pouvait souhaiter chef plus capable que lui de tracer les lignes intellectuelles fondamentales de la nouvelle école, d’orienter son fonctionnement interne vers des voies fécondes, et de conquérir par surcroît, le cœur et l’intelligence des « Poussins » et de leurs professeurs.
Le divertissement aéro-théâtral comportait « l’enlèvement des Sabines », grande machine montée par un « Poussin », et jouée par une quarantaine de ses camarades. Des guerriers bronzés poussèrent des cris variés et sabrèrent d’autres guerriers pour défendre des sabines qui avaient les mollets et les bras rudement musclés. Tout cela fut fait avec une grande bonne volonté.
Comme un jour de « Grand Zef », tout est permis, j’eusse préféré, pour ma part, un scénario plus aéronautique. Que les futurs « Poussins » nous retracent un peu, en les chargeant, leur vie d’école et leurs espérances de « Poussins » dont l’aile n’est encore que duvet…
Après que les Sabines eussent été dûment enlevées dans quelques Potez-540, la Patrouille du Capitaine Fleurquin s’empara pour l’enchantement de tous, de la vaste calotte du ciel. Je ne l’avais pas vue opérer depuis la fête de l’Air, l’an dernier à Villacoublay. Ses progrès sont incontestables. Elle a atteint dan certaines figures de haute voltige, une sorte de perfection qui déchaîne l’enthousiasme. Un magnifique exemple est ainsi donné aux futurs officiers pilotes.
Non seulement la Patrouille est maintenant dans la classe internationale que la France n’atteignait pas, et de loin, en 1935, lorsque les Italiens vinrent au Bourget nous donner une éblouissante leçon, mais on peut la considérer comme la plus grande équipe d’Europe, si ce n’est pas du monde. Un tel résultat a été atteint sans « casse », car c’est le propre de Fleurquin d’allier une totale audace à la plus profonde prudence.

A genoux, les « Poussins » !     

Enfin, l’heure du baptême de la Promotion arriva. Le soleil avait baissé ; la lumière délicate d’une fin d’après-midi provençale enveloppait l’assistance dans une grande douceur.
Les « Poussins » se rangèrent face au drapeau en formant deux masses sombres, éclairées seulement par la blancheur des casquettes. Mme Mailloux et deux de ses fils étaient là. Et le cérémonial se déroula.
Ayant fait ouvrir le ban, le Général Mouchard prononça la phrase sacramentelle :
-          « Quel nom voulez-vous donner à votre promotion ? »
Un « Poussin » répondit : - « Promotion Mailloux ».
-          « A genoux les « Poussins » ! ordonna le Colonel Bonneau. Ce qu’ils firent.
« La promotion 1938-1940, ajouta le Colonel, s’appellera Promotion « Lieutenant-Colonel Mailloux »
« Elèves officiers de l’Ecole de l’Air, je vous félicite du nom symbolique que vous avez choisi. Je suis sûr que tous, au cours de votre carrière, vous saurez vous montrer dignes de l’exemple magnifique que nous a laissé le Lieutenant-Colonel Mailloux, Commandeur de la légion d’Honneur, douze citations ».
Le Colonel Bonneau donna lecture de la dernière :
« Aviateur sans peur et sans reproche, qui n’a cessé de consacrer toute sa vie militaire au service du pays et de l’Aviation.
« Toujours à des postes de péril ou de devoir, est revenu de la Grande Guerre avec de nombreuses citations hautement méritées par son courage héroïque.
« Est aussitôt parti pour le Maroc continuer son apostolat d’officier, et de nouvelles citations sont venues consacrer sa valeur exceptionnelle.
« S’est joint ensuite à la grande phalange des aviateurs bâtisseurs de lignes aériennes et a, en compagnie du regretté Mermoz, exécuté les premières traversées de l’Atlantique Sud.
« Commandant la 51e Escadre, il était, pour tout le personnel sous ses ordres, un exemple aimé et vivant de courage, de hardiesse réfléchie et de modestie. A trouvé une mort glorieuse à la tête de ses équipages, le 22 avril 1939. Il avait effectué 3000 heures de vol. »
Cette lecture achevée, le Colonel Bonneau ordonna alors :
-          « Debout les aspirants » !
Car les « Poussins » venaient, par la grâce de leur chef, de se muer en aspirants.
Ceux-ci entonnèrent alors le chant des Rapaces :

Buvons frais sans nous faire de bile.
Dans l’Escadrille des Rapaces,
Le plus vieux a vingt-quatre ans
Le plus jeune sort de classe
Capitaine il n’y a plus d’enfants…

Après quoi, le drapeau de l’Ecole fut remis en garde à la nouvelle Promotion.
Dans sa simplicité, la cérémonie ne manquait point de grandeur. Ces jeunes gens sont la fleur de la France. Le fait qu’ils se consacraient tout entier, ce soir-là, avec une mâle énergie, à sa défense, atteignait dans la pénombre une grandeur morale fort émouvante, et qui n’échappa  à personne.
Le cérémonial du baptême d’une promotion d’élèves-officiers aviateurs est-il pour autant définitivement fixé ?
Je veux espérer qu’il ne l’est pas encore. Ce que je viens de rapporter est trop directement inspiré du « Triomphe » de Saint-Cyr. L’affabulation aérienne dans laquelle il faut, à mon avis, toujours rester, fait un peu défaut. Au surplus, le chant des « Rapaces » n’est pas d’une tenue entièrement satisfaisante. Mais la tradition est lancée. C’est l’essentiel. Elle évoluera dans l’avenir, seront ses propres lois.
Le Colonel Bonneau et ses collaborateurs du cadre de l’Ecole et la Promotion Mailloux peuvent, en tout cas, être fiers du succès de bon aloi remporté par le premier « Grand Zef ». Une nombreuse assistance s’est trouvée plongée dans une atmosphère aérienne salubre où règnent seuls le désintéressement et l’amour de la Patrie et de l’Aviation.
Bref, une tradition a été créée dans une Ecole qui commence à prendre une remarquable allure, du moins quant à l’esprit qui y règne et aux méthodes de formation des officiers. Car, pour le reste, on vit à Salon, dans des installations provisoires où beaucoup de choses manquent toujours.
Le « Grand Zef » fut donc pour ceux qui savaient voir et comprendre une manifestation infiniment réconfortante.

André Lanceron


N.B. – Le Colonel Bonneau souhaite que l’Ecole de l’Air soit nommée dans le public « Ecole de Salon », comme l’on dit « Ecole de Saint-Cyr ». Il a raison. 


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