jeudi 21 mai 2015

L’aviation en guerre de l’automne 1914 à l’automne 1915. Création des spécialités et naissances des identités

Christian BRUN
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France

Après la bataille de la Marne, le général Joffre comprend toute la nécessité d’utiliser l’aviation à des fins tactiques et stratégiques. Ainsi, il va faire appel à une personnalité reconnue dans le monde de l’aéronautique militaire : le commandant Barès. Il va lui confier la direction du service aéronautique du Grand Quartier Général afin de le structurer et de définir les missions et donc les spécialités.
Le commandant Barès, qui a commandé les escadrilles de la IVème Armée au tout début du conflit, a parfaitement pressenti le rôle primordial que l’aviation pouvait jouer. Il organise donc la reconnaissance des objectifs afin de régler les tirs d’artillerie, l’observation afin d’assurer la couverture photographique du terrain et de « maîtriser » le champ de bataille, le bombardement dans un but tactique (attaque des troupes à la bombe) et stratégique (toucher en profondeur les points sensibles ennemis). Il pense également à la chasse des avions afin de protéger les différentes missions prévues et d’interdire le survol des lignes et troupes amies par les avions allemands. Il va confier cette tâche à un pilote expérimenté et connu avant-guerre pour ses exploits aéronautiques : Jules Védrines.

Jules Védrines en 1916
Source gallica.bnf.fr
Ainsi, Barès a pour mission de mettre en place les premières doctrines opérationnelles d’une arme en devenir et d’établir les bases d’un programme d’emploi ambitieux mais indispensable.  L’idée générale étant d’acquérir la supériorité aérienne.
Mais, il est confronté à des problèmes techniques et quantitatifs. En effet, les avions de 1914 ne sont pas assez rapides pour effectuer efficacement les missions prévues et peuvent difficilement éviter les risques liés à la défense contre avions allemande. Ils ne sont pas assez puissants pour transporter sur une longue distance le chargement de bombes destiné à frapper les centres économiques de l’adversaire. Ils ne sont pas assez armés pour mener des combats aériens et ne possèdent pas d’appareils photographiques et de système T.S.F., qui permettraient de répondre significativement aux attentes de l’observation et de la reconnaissance. De plus, l’Armée française ne possède pas un nombre d’appareils suffisant pour répondre aux missions évoquées, missions qui doivent être assurées au profit des différentes armées présentes sur le front.
Ces différents besoins, liés aux volontés du commandant Barès et qui bien évidemment doivent également répondre aux dispositifs de l’adversaire, sont précisés dès octobre 1914. A cette date, le général Joffre demande expressément la création de 65 escadrilles, c'est-à-dire trois fois le potentiel aéronautique existant au 1er août. Ce programme sera réalisé par le général Hirschauer, directeur de l’aéronautique à Paris.
La mise en service de nouveaux moteurs (Canton Unné 150 HP, Rhône 80 HP, Renault 130 HP) plus puissants et plus fiables permet d’équiper les Voisin de bombardement, les Morane et les Nieuport ainsi que les Farman. Dans le but de répondre parfaitement aux missions prévues, les avions sont munis de la T.S.F. (transmission sans fil ou télégraphie sans fil) et d’appareils photographiques. Les obstacles technologiques ont ainsi été contournés.
Dotée de ce matériel moderne et forte de nouvelles escadrilles, l’aviation est prête pour les opérations qui vont débuter dès le printemps 1915 et qui vont marquer la guerre de position qui se met en place et qui va durer jusqu’au début de l’année 1918.
Au cours des batailles en Champagne, à Verdun et en Artois, l’aviation va mettre au point des méthodes d’action au profit de l’artillerie et de l’infanterie. Elle élabore des procédés d’observation des tirs, des systèmes de prises photographiques, un système de renseignement spécial et de restitution des informations recueillies. Ces travaux sont assurés par des officiers d’artillerie nouvellement affectés et qui ont su profiter de ce nouvel « observatoire », l’avion, qui s’est avéré indispensable pour les batteries depuis quelques mois. Ils ont pour noms, entre autres : Morisson, Molinié, Baulier, de Gibergues, de Miribel, Routy, Fageol, Watteau, Balleyguier et Ayral.
Ces officiers établissent, courant 1915, les premiers règlements sur l’observation et la reconnaissance aériennes. Ces premiers textes fixent pour tous les spécialistes, qu’ils soient aviateurs ou artilleurs, une codification, c'est-à-dire les règles standardisées à suivre, afin de rationaliser l’ensemble des informations données par tous les avions utilisés dans les batailles.
C’est également à cette période que l’aviation de bombardement intervient de façon significative dans les opérations grâce à la création d’unités spécialisées. Le commandant Barès confie l’organisation des quatre premières escadrilles (avions Voisin) au commandant de Goÿs de Mézerac. Ces unités sont alors réunies en un groupe de bombardement composé de pilotes confirmés. On y retrouve entre autres, le capitaine Challe, le lieutenant de vaisseau de Laborde et les lieutenants Féquant, de la Morlais, Mouchard, Coutisson, Do-Hu et Patridge.
Les escadrilles effectuent des raids sur les arrières du champ de bataille et visent en particulier le potentiel économique de l’adversaire. Les nombreuses batteries de D.C.A. positionnées sur les points vitaux par les allemands comme par exemple à Somme-Py, Challerange, Vouziers, Thiaucourt, Conflans, prouvent toute la crainte inspirée par les bombardiers français. Mais les pilotes, lorsqu’ils ne sont pas utilisés en appui des opérations terrestres, effectuent également des bombardements stratégiques, la plupart du temps en représailles à l’utilisation des gaz par l’ennemi : missions sur Karlsruhe, Ludwigshafen et la vallée de la Sarre. Ces raids sur l’Allemagne, que l’on peut considérer comme les premières opérations aériennes stratégiques de l’histoire, provoquent surprise, émoi et adaptation chez l’adversaire. Il est alors obligé de consacrer énormément de moyens afin de mettre en place un système efficace de défense aérienne.
Ces différentes expéditions d’observation, de reconnaissance et de bombardement font prendre conscience aux deux parties qu’il est indispensable de disposer d’une aviation de chasse dans le but de protéger les avions qui assurent ces opérations et d’interdire aux aéroplanes adverses de venir survoler le territoire. Il est donc nécessaire de créer une véritable aviation de chasse. Cette création sera possible grâce notamment à la supériorité technique du Morane-Parasol et à la mise au point du tir à travers l’hélice imaginé par Garros. Ainsi, Garros et Pégoud vont se mettre à l’honneur en abattant plusieurs de leurs adversaires. Ils ouvrent ainsi l’ère des combats aériens. L’aviation perdra trop rapidement ces deux pilotes : Garros par suite d’une panne chez l’ennemi et Pégoud dans un combat aérien.
Ainsi, pendant les premières opérations de 1914-1915, l’aviation applique et perfectionne différents modes d’action dans les domaines d’emploi suivants : observation, bombardement et chasse. Elle est appuyée et encouragée par le Haut Commandement qui a très vite compris que cette arme nouvelle était appelée à jouer un rôle déterminant tant d’un point de vue tactique que stratégique. Le général Foch rappelle aux escadrilles d’observation, aux chasseurs et aux bombardiers les principes de base et leur donne les conseils doctrinaux suivants : pas de bataille sans artillerie, pas d’artillerie sans aviation ; permettre aux siens de voir et boucher l’œil de l’ennemi ; pas trop de rêves lointains, tout le monde dans la bataille.

Hirschauer passe les troupes en revue 1915
Source gallica.bnf.fr
Bibliographie :

FACON, Patrick, Histoire de l’armée de l’air, La documentation française, Paris, 2009.
FROGE Christian (dir.), La Grande Guerre vécue, racontée, illustrée par les combattants, Tome 2, Aristide Quillet éditeur, Paris, 1922, pp. 313-329.
KENNETT, Lee, La première guerre aérienne 1914-1918, Economica, Paris, 2005.
PAGE, Georges, L’aviation française 1914-1918, Editions Grancher, paris, 2011.
Le Fana de l’aviation, L’aviation française pendant la guerre 1914-1918, Hors-série n° 48, avril 2012.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire