mardi 5 avril 2016

L’affaire Callizo



 Guillaume MULLER
Centre de Recherche de l'Armée de l'air (CReA), École de l'Air, 13 661, Salon Air, France


1927. Lindbergh traverse l’Atlantique, exploit aéronautique majeur du XXe siècle. L’aviation est alors au faîte de la popularité. La période de l’entre-deux-guerres est en effet propice à la course aux records, que la guerre avait mis de côté le temps des hostilités. L’aviation retrouve la dimension sportive qui l’avait vu naître au début du siècle, pour le plus grand plaisir d’un public passionné. Les records éphémères de cette aventure aéronautique confèrent fortune, gloire et reconnaissance. Ce qui peut susciter bien des convoitises.
C’est effectivement en cette même année 1927 qu’un scandale vient émailler l’aura de l’aviation et des aviateurs : « l’affaire Callizo », couverte par toute la presse contemporaine. Jean Callizo, pilote d’essai chez Blériot, est alors détenteur du record d’altitude.

Jean Callizo

Il le remporte pour la première fois le 10 octobre 1924, avec un vol homologué à 12 066 mètres (avion Gourdoux-Lesseure et moteur Hispano-suiza de 300 CV)[1]. Le précédent détenteur du record était alors Joseph Sadi-Lecointe avec 11 145 mètres en 1923.

Joseph Sadi-Lecointe

Callizo améliore son propre record le 23 août 1926 pour atteindre 12 442 mètres (avion Blériot-Spad-Herbemont et moteur Lorraine-Diétrich de 450 CV)[2]. Le turbo-compresseur Rateau a permis d’assurer les performances des moteurs à haute altitude lors de ces deux exploits.

L’Aéronautique, octobre 1926

Callizo, grisé par la gloire acquise depuis 1924, fanfaronne et déclare qu’il atteindra les 13 000 mètres. Il annonce même vouloir survoler l’Everest[3]. Le 29 août 1927, il s’élance donc pour tenter de battre à nouveau son record. A l’issue du vol, le barographe[4] annonce bien les 13 000 mètres qui avaient été annoncés.
Cependant, cela faisait déjà un certain temps que certaines personnes, notamment au sein même de son entreprise, se posaient des questions sur la véracité de ses exploits. Alors, à son insu, ils ont placé sous son siège un second barographe. L’analyse de ce barographe témoin indique que le vol a plafonné à 4 000 mètres. On est bien loin des 13 000 annoncés, la fraude est désormais avérée. Jean Callizo est bien parvenu à truquer le baromètre officiel. Lors de sa comparution devant l’Aéro-Club de France, il révèle la supercherie.

L’Aérophile, 1er-15 septembre 1927

Les foudres s’abattent alors sur l’escroc. La commission sportive de l’Aéro-Club de France tranche avec ses sanctions les plus lourdes : tous ses records sont invalidés et il est disqualifié à vie[5]. C'est-à-dire qu’il ne pourra plus « ni tenter un record, ni prendre part à une compétition »[6]. Chevalier de la Légion d’honneur depuis août 1925 suite à son premier record, il est radié de l’Ordre[7]. Il est aussi limogé par son employeur et abandonne ses rêves d’Everest.
Sa tricherie avait été facilitée par un moindre nombre de candidats pour la course à l’altitude, contrairement à d’autres domaines comme la distance ou la vitesse. Tous ou presque ont également été bernés par les capacités de l’aviateur à simuler la fatigue physiologique subie lors du vol en altitude. La découverte de la duperie a aussi permis de répondre, en partie, aux nombreuses supputations émises par la presse spécialisée pour répondre à une question majeure soulignée dès 1926. Comment un appareil dont le plafond était estimé par le constructeur à 9 500 mètres, a pu dépasser ce plafond de près de 3 000 mètres ? Le fait avait été entre autres attribué à la finesse de l’appareil, au turbo-compresseur Rateau et à l’hélice Merville[8].

En conclusion, cette « affaire Callizo » est le revers de la médaille au succès populaire que connaît alors l’aviation. Concernant la France, ce scandale arrive au plus mauvais moment. En effet, il ne contribue pas à améliorer l’image des aviateurs, déjà écornée aux yeux des ministères de la Guerre et de la Marine, qui s’opposent alors à la création d’un ministère de l’Air, préalable à la création d’une armée de l’air. La revue Les Ailes dénonce une « histoire pénible qui risque de jeter un gros discrédit sur l’aviation » et appelle aux sanctions qui « frapperont le pilote coupable de s’être laissé ainsi égarer par un vain besoin de gloire »[9].
Cette « affaire lamentable » est aussi abordée par Jacques Mortane, journaliste spécialiste des questions aéronautiques et fier partisan de l’aviation française, dans un article sur les fraudes sportives[10]. D’après lui, il ne s’agit alors à ce moment-là que du second disqualifié de l’aviation française depuis 1913 (tricherie de Maurice Guillaux pour la coupe Pommery). « En 21 ans c’est peu. N’est-ce pas la démonstration de l’honnêteté d’un sport de courage, sur lesquels certains eurent le tort de jeter le discrédit à la suite du récent scandale ». La longue lutte politique engagée autour de l’aviation civile et militaire française aboutira finalement en 1928 sur la création du ministère de l’Air, et en 1933-1934, de l’armée de l’air.

Dans la revue L’Aérophile, Georges Blanchet nous livre une biographie de Jean Callizo, aviateur très peu connu avant 1924.

L’Aérophile, 1er-15 octobre 1926


[1] Les Ailes, n°174, 16 octobre 1924.
[2] L’Aéronautique, octobre 1926. L’article livre tous les détails techniques de l’exploit, autant pour la préparation de l’appareil que pour l’équipement du pilote.
[3] Le projet est repoussé car les autorités anglaises ne lui en donnent pas l’autorisation. L’Aérophile, 1er-15 mars 1927.
[4] Instrument qui permet de mesurer l’altitude. Le modèle du barographe d’un candidat au record doit être homologué par la FAI (Fédération Aéronautique Internationale), puis analysé au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) pour homologation officielle du record.
[5] Le Petit Parisien, 6 septembre 1927.
[6] Les Ailes, n°326, 15 septembre 1927.
[7] Les Ailes, n°352, 15 mars 1928.
[8] L’Aéronautique, octobre 1926.
[9] Les Ailes, n°325, 8 septembre 1927.
[10] Mortane, Jacques, « Les fraudes sportives », Lectures pour tous, novembre 1927.

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